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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/533

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sagesse; ils ont réussi avec leur politique à surcharger encore la dette en pleine paix, à mettre le déficit dans le budget, à diviser le pays par les guerres religieuses, à isoler la France en Europe, à remettre la république en doute par leurs passions et par leurs excès. Les résultats des deux politiques sont là, évidens, éclatans, et si les monarchistes donnaient raison à M. Thiers au lendemain de sa chute en échouant dans leurs tentatives pour refaire la monarchie, les républicains lui donnent encore plus raison depuis cinq ans, depuis qu’il n’est plus de ce monde. Leur règne continue la démonstration de cette vérité : « La république sera conservatrice ou elle ne sera pas!.. Une république de parti ne serait qu’une œuvre d’un jour. »

Ce que M. Thiers penserait ou ferait aujourd’hui, c’est écrit dans ses actes comme dans ses discours; c’est écrit en traits bien plus significatifs encore dans toute sa carrière, dans cette carrière de plus de cinquante années qui se déroule à travers les révolutions pour finir par se confondre avec l’histoire même de la France et qui, au milieu des mobilités, des contradictions du temps, garde une singulière unité. M. Thiers, au courant de sa longue et brillante vie, n’a point été sans doute autrement que tous les autres hommes. Il a pu avoir ses passions ou ses illusions. Il a paru quelquefois prendre des rôles différens, soutenir des opinions différentes, être un peu plus libéral ou un peu plus conservateur, selon les circonstances. Au fond, ce qui a fait l’unité de sa vie, c’est que dans toutes les situations, — hardi polémiste sous la restauration, ministre de la monarchie de 1830, conseiller conservateur de la république de 1848, chef de l’opposition parlementaire sous le second empire, — il a toujours servi ou voulu servir la même cause. Le secret de son ascendant, de sa position privilégiée entre ses contemporains, c’est que par ses actions comme par les œuvres de son esprit, par ses opinions sur deux ou trois points décisifs, il a répondu à quelques-uns des instincts les plus profonds, les plus vivaces de la France.

M. Thiers, depuis la première heure jusqu’à la dernière, a toujours été un patriote. Il a aimé son pays avec passion, non pas le pays rétréci ou défiguré par les partis, mais le pays de tous les temps, de tous les régimes, le pays de Condé, de Vauban et de Turenne, aussi bien que de la révolution et de Napoléon. Il aimait la France en homme tout plein du sentiment de ses traditions et de ses intérêts. Il avait défendu la grandeur nationale avec orgueil dans les Dons jours ; il la défendait avec une généreuse et ardente opiniâtreté dans les mauvais jours, lorsqu’il la voyait déjà compromise par les fautes politiques de l’empire, et le souvenir de ses efforts désespérés pour préserver le pays des derniers malheurs