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porte de l’orphelinat est hospitalière et qu’en pareil cas elle est toujours ouverte? « Ce diable d’homme, me disait-on, porte préjudice à la Petite-Roquette. » Heureusement; le jour où cette sinistre prison sera détruite pour n’être pas remplacée, il y aura du soulagement au cœur de ceux qui l’ont visitée. Les enfans qui l’ont traversée sont reconnaissables ; ils en ont gardé quelque chose de farouche; ils ressemblent à des loups captifs qui se blottissent au fond de leur cage : pour eux, l’abbé est le meg et Dieu est le grand dab ; ils ont appris le langage des chiourmes, et il leur faut du temps pour l’oublier. Ils ne sont point nombreux à l’orphelinat; leurs parens avaient obtenu contre eux, du président du tribunal de première instance, une ordonnance de correction paternelle; ils ont séjourné dans les mornes cellules, glaciales en hiver; on les en a tirés et on les a conduits chez l’abbé Roussel, où rien ne ressemble à la geôle qu’ils ont habitée. Là, sous l’influence des bons traitemens, de la gaîté de leurs camarades, des récréations bruyantes et du travail approprié, leur esprit de révolte s’éteint, leur émulation s’éveille et l’ancien petit détenu devient parfois un excellent ouvrier. Ceux-là doivent à l’abbé Roussel une inviolable gratitude; il les a repêchés du milieu du cloaque, il les a nettoyés, purifiés, outillés, sauvés; il a fermé pour eux la porte des répressions et leur a ouvert celle de la vie honorable; c’est là un acte de paternité active qu’ils feront bien de garder en mémoire.

La préfecture de police, dont l’action est la plus sérieuse, pour ne pas dire la seule sauvegarde de Paris, surveille le vagabondage et, autant qu’il lui est permis par les lois, le refrène et cherche à le diminuer. Elle a des dépôts, — Saint-Denis et Villers-Cotterets, — pour la mendicité impotente et caduque; elle n’en a point pour l’enfance abandonnée; elle n’a même pas la maison de correction de la Petite-Roquette, qui ne reçoit que l’enfant condamné en vertu d’un jugement ou enfermé par ordre du président du tribunal. Elle n’a donc d’autres ressources que de traduire le délinquant devant les magistrats ; elle hésite, car, quoi qu’on en ait dit, elle est très maternelle et, suivant la formule des lettres de grâce, « elle préfère miséricorde à rigueur de loi. » Elle sait bien qu’à moins d’un miracle, l’enfant qu’elle envoie en police correctionnelle et qui de là s’en va à la Petite-Roquette est un être à jamais perdu pour les bonnes mœurs et pour la probité; elle aussi, à sa manière, elle sauve les âmes, et plus souvent qu’on ne l’imagine. Elle écrit à l’abbé Roussel : « L’enfant a douze ans, il est errant depuis six semaines, le père est mort, la mère a disparu : des agens l’ont arrêté hier aux Halles, en voulez-vous? » L’abbé Roussel répond: « Expédiez-le-moi tout de suite; » et voilà un pensionnaire de plus à l’orphelinat, un peu ahuri et désorienté pendant les premiers