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limite de misère. Aux petits il ouvre l’école, aux plus grands l’atelier, à tous l’adoption.

Les enfans travaillent ; dès qu’ils ont reçu une instruction élémentaire et qu’ils ont fait leur première communion, ils entrent dans les ateliers. Une vingtaine d’élèves choisis parmi les plus robustes et parmi ceux qui, jusqu’à ce jour, ont vécu à la campagne, sont employés à ce que l’on nomme un peu emphatiquement l’agriculture ; il serait plus exact de dire le jardinage. Un vaste terrain vallonné, séparé des cours de récréation par une barrière en bois, appartient à la maison et a été converti en un jardin que cultivent les écoliers sous la direction d’ouvriers habiles. Là, on n’impose pas seulement à ces enfans des travaux de manœuvre, ils font autre chose que de ratisser les allées, de porter les arrosoirs, de relever une plate-bande ou creuser une rigole. On leur enseigne à greffer, à tailler les arbres ; on leur apprend la différence des terres lourdes et des terres légères, à quelles plantes elles conviennent, l’époque des semailles, le choix des espèces et l’art de faire produire sans épuiser. Là, l’ancien vagabond retrouve quelque chose de sa vie en plein air et devient souvent un maître en son métier. Au bout du jardin, à l’extrémité même de la propriété, s’élève un chalet de bonne apparence, en bois bituminé, sur un massif de pierres meulières. J’y suis entré et j’y ai trouvé la charité au travail. Des religieuses de l’ordre de l’Enfant-Jésus, attachées à l’orphelinat, et quelques dames des quartiers voisins, visitent les vêtemens, cousent le linge, raccommodent les nippes des élèves et réparent autant que possible ce que la gymnastique, le saut de mouton, la culbute et les coups de poing ont endommagé. C’est le tonneau des Danaïdes ; quand on a pansé les blessures d’un pantalon, il en arrive dix qui sont en loques. Parmi les dons en nature adressés à la maison d’Auteuil, les vieux vêtemens ne sont point dédaignés ; on les rajeunit tant bien que mal, on les réduit a des dimensions convenables, et on en habille les enfans. Ça fait des costumes un peu bigarrés, costumes de jeu, costumes de classe, qui, le dimanche et les jours fériés, sont remplacés par un uniforme.

Vingt cordonniers tirent le fil poissé et ajustent le cuir sur la forme de bois. Ils sont adroits, et leur contremaître en remontrerait à saint Crépin. Les œuvres charitables se soutiennent entre elles ; les Dames du Calvaire sont les clientes de la cordonnerie des orphelins d’Auteuil, et plus d’un bienfaiteur de la maison ne se fournit pas ailleurs ; c’est encore un moyen de protéger les enfans que de ne les point laisser manquer de travail. Quatorze tailleurs, les jambes croisées sur l’établi et le dé au doigt, maniant la courte