Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/612

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne paraît pas être la vertu dominante; dans ces cœurs que la paresse, l’ivrognerie, ou des circonstances néfastes ont souvent fait souffrir, il y a un fond d’envie extravasée qui fermente et bouillonne. Pour certains écoliers et surtout pour certains parens, il est admis que l’abbé Roussel tire bénéfice du travail des enfans. On connaît le thème : exploitation de l’homme par l’homme, tyrannie du capital, le tout assaisonné de quelque sueur du peuple. Tel individu dont le fils a été recueilli par charité s’en va répétant ces vieilles sornettes et affirme qu’à l’Orphelinat des apprentis, les maîtres font fortune en accaparant le produit du travail des élèves. Il est puéril, je le sais, de rétorquer de telles balivernes; il est superflu, je le sais encore, de s’imaginer que l’on fera taire la calomnie; mais la vérité est toujours bonne à dire, et je la dirai. J’ai vérifié la comptabilité de la maison d’Auteuil, et j’en pourrais communiquer les chiffres au lecteur, atelier par atelier ; ce serait fastidieux ; un total d’ensemble suffira. En 1882, les ateliers, y compris la France illustrée et l’Ami des enfans, ont coûté 29,645 fr. 75; ils ont rapporté : 27,294 fr. 60 ; perte sèche : 2,351 fr. 15. C’est là le bénéfice ordinaire de la charité. Sans la bienfaisance qui l’a secouru et qui le secourt, l’Orphelinat d’Auteuil se verrait contraint par ministère d’huissier de fermer ses portes et de rendre à la rue le vagabondage qu’elle en a arraché. La proposition n’a rien d’excessif, il est aisé d’en faire la preuve. Les dépenses totales pour l’année 1882 ont été de 211,753 fr. 50 qui ont pourvu à l’habillement, à la subsistance, à l’instruction de trois cents enfans. Chacun d’eux exige une dépense quotidienne de 1 fr. 77, qui s’élève à 1 franc 94, si l’on y ajoute les frais d’entretien de la maison. En résumé, l’on peut dire que le produit des ateliers suffit à peine à couvrir le prix de la main-d’œuvre des ouvriers chargés de l’éducation professionnelle des apprentis.

Pour arriver à ne dépenser par jour et par élève que 1 fr. 77, il faut des prodiges d’économie; il faut, comme dans d’autres œuvres charitables, tirer parti de tout, des vieux vêtemens que la commisération envoie, des couvertures qu’elle donne, du linge « fatigué » qu’elle expédie. Tout est calculé pour ne point dépasser un budget sévèrement établi et dont l’équilibre serait rompu par la plus légère imprévoyance; une dépense de 0 fr. 05 par jour et par élève, qu’est-ce que cela? Nous en sourions; au bout de l’année, on se trouverait en présence d’un déficit de 5,475 francs et peut-être n’arriverait-on pas à le combler. En été, à l’époque des grandes chaleurs, la dépense est tout à coup augmentée dans des proportions redoutables; il faut mener les enfans aux bains froids; cet exercice est pour eux le plus apprécié et le plus salubre de tous ;