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salon du palais, comme nous l’avons mentionné, les parois occidentale et méridionale qui menaçaient ruine. Pour refaire les peintures sur les murs reconstruits, on dut, en effet, recourir à de nouveaux artistes, les anciens étant morts ou étant occupés ailleurs. C’est ce que prouvent ces peintures elles-mêmes, exécutées par un procédé différent. Quand on essaya de les dégager, ainsi que nous l’avons déjà dit, du badigeon qui les recouvrait, on les vit tomber avec la chaux, tandis que les fresques voisines demeuraient intactes et ressuscitaient à la lumière dans l’état où les avaient trouvées les hommes qui croyaient les avoir vouées à un éternel oubli.


V.

S’il est difficile de savoir à quoi s’en tenir sur l’origine précise des fresques peintes dans le palais de Schifanoia, il est encore plus malaisé de savoir à qui l’on doit attribuer le choix des sujets.

Que le programme à réaliser par le peintre ait été imaginé et formulé par quelque lettré de l’époque, c’est ce qui n’est pas douteux. Évidemment le souverain de Ferrare eut recours à un de ces érudits raffinés qui se passionnaient pour les réminiscences mythologiques, pour les spéculations quintessenciées de l’astronomie, pour les allégories ressemblant à des rébus. Mais à qui s’adressa-t-il? Personne ne s’est soucié de nous l’apprendre. En l’absence de tout document, on serait tenté de songer à Lilio Gregorio Giraldi, auteur d’un traité ayant pour titre : de Annis et Mensibus, mais la date de sa naissance (1478 ou 1479) s’y oppose absolument. Force est donc de rester dans l’ignorance sur ce point.

Sait-on du moins qui a exécuté les sujets fournis par le lettré anonyme? Sur cette question, la lumière est loin d’être complètement faite. Toutefois, en consultant la tradition et en examinant les fresques avec soin, on peut parvenir à entrevoir çà et là les indices de la vérité.

Une chose d’abord est certaine, c’est que, s’il y a unité de plan, il y a diversité de style. On ne saurait douter que plusieurs artistes aient coopéré à l’ensemble que l’on a sous les yeux. Comment croire, par exemple, que l’artiste qui a peint les tisseuses soit aussi l’auteur de la scène où Borso, au-dessous du Bélier, accueille la requête d’un de ses plus humbles sujets, que l’homme tenant la clé du printemps et que les figures placées auprès de la Balance soient l’œuvre d’une même main ? Non loin de certaines têtes peintes avec talent et réellement belles, il y en a de faibles et même d’assez laides. C’est que des maîtres de mérite très inégal et de tendances très différentes ont travaillé dans le voisinage les uns des autres