Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/780

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

envoyé du khédive pour persuader à Abdul-Hamid que les projets des colonels étaient contraires aux intérêts de l’empire ; mais on ajoutait que ses efforts avaient été vains. C’était au moment où Mahmoud-Samy était à la tête du ministère et où se préparaient les événemens qui ont précipité la crise : « Le cheik Essad, dit le secrétaire, a assuré au sultan que le ministère se conduisait conformément aux règles, qu’il était fidèle et soumis, que les préceptes de la religion servaient de base à sa conduite, et qu’il reconnaissait la suprématie de la Sublime Porte. En conséquence. Sa Majesté n’a pas voulu prêter foi aux affirmations de l’envoyé du khédive, et elle ne le voit pas maintenant d’un bon œil. » Le correspondant ajoutait qu’Abdul-Hamid se proposait de remplacer le khédive par le prince Halim, que l’Angleterre s’y opposait, mais qu’on parviendrait à vaincre ses résistances, qu’il fallait donc attendre avec confiance et compter sur les agitations qui allaient favoriser la révolution égyptienne : « Sa Majesté le sultan, disait-il encore, a donné ordre au cheik Daffer d’écrire en Tripolitaine au sujet de Tunis, » Pourvu que le cheik Daffer travaillât aussi bien en Tripolitaine que le cheik Essad l’avait fait en Égypte, le panislamisme, on le voit, était sûr de triompher sur tous les points.

On ne saurait croire combien cette illusion d’une prise d’armes générale des musulmans a contribué au progrès de la révolte égyptienne. Les événemens de Tunisie et d’Algérie avaient produit au loin une immense impression. Toute la presse arabe d’Égypte était remplie des hauts faits de Bou-Amama, de ses triomphes sur les Français, des sanglans échecs qu’il infligeait à nos soldats. Les légendes les plus folles couraient à ce sujet, colportées par vingt journaux et commentées à satiété par les étudians et les cheiks de la mosquée d’El-Azar. De même qu’à Tripoli, à Tunis, et dans le sud oranais, on avait sans cesse les yeux tournés vers le Caire, de même, au Caire, on rêvait constamment à ce qui se passait à Tripoli, à Tunis et dans le sud oranais. Arabi était jaloux des prétendus succès de Bou-Amama. Il voulait rivaliser de gloire avec lui, montrer qu’il était plutôt que lui le mehdi, le sauveur promis à l’islam à la fin de chaque siècle de l’hégire. Arrivé au sommet de la puissance par un concours de circonstances tellement étranges, tellement heureuses, tellement inespérées qu’elles eussent paru peu de mois auparavant tout à fait fantastiques, il avait fini par se persuader à lui-même qu’il était réellement prédestiné. De la meilleure foi du monde, il croyait à sa mission divine. A chaque instant, au milieu de ses discours les plus éloquens, il s’arrêtait pour murmurer des prières, et pour écouter la voix du Prophète, qui lui parlait à l’oreille. Absolument dépourvu d’instruction, ne connaissant que