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mixtes a également échappé à la destruction. L’officier qu’Arabi avait chargé d’y mettre le feu n’a pas osé le faire ; seulement, en rentrant auprès de son chef, il lui fit croire qu’il avait suivi ses ordres et qu’il ne restait pas pierre sur pierre du palais de la loi : « Dieu soit loué! répliqua Arabi; l’Egypte est sauvée! » Pendant toute la journée, Arabi ne quitta pas la porte de Rosette ; d’heure en heure, il était au courant des événemens; les uns lui en portaient l’heureuse nouvelle, et il les recevait avec bienveillance ; les autres le suppliaient de mettre un terme au pillage, et il penchait la tête sans leur répondre. Le matin, Soliman-Samy était parti d’auprès de lui la torche à la main ; plus tard, Mahmoud-Samy avait été expédié par son ordre pour presser l’incendie ; Mahmoud-Samy ne revenant pas assez vite, il envoya le fidèle Omar-Rahmy, qui, parvenu sur la place des Consuls, s’écria : « Enfans, incendiez! c’est l’ordre d’Arabi. » Vers le soir, le khédive, enfermé dans le palais de Ramleh, où il était gardé à vue comme un prisonnier par des troupes chargées de le surveiller et au besoin de l’assassiner, lui faisant demander compte de ce qui se passait, Arabi répondit : « Les musulmans ne possèdent rien dans cette ville; ils n’y ont que des cabanes; tout ce que vous voyez d’objets mobiliers appartient aux Européens; nous devons donc piller et incendier tout ce qui se trouve à Alexandrie, afin qu’en y entrant, les Anglais qui l’ont bombardée n’y trouvent que des ruines. » Et, sans plus faire attention à l’envoyé du khédive, Arabi se mit à passer ses troupes en revue. Tous les soldats avaient leur butin devant eux. Arabi, loin de les blâmer, leur adressait à chacun de vives félicitations. Quant à Mahmoud-Samy, à Toulba, à Mahmoud-Fhemy, ils avaient erré toute la journée dans la ville, autorisant par leur présence les horreurs qui s’y commettaient. Toulba traversa plusieurs fois la place des Consuls au moment où Soliman-Samy y commettait le plus de crimes; diverses personnes le supplièrent d’interposer son autorité : il répondit par un haussement d’épaules et un mouvement de main indiquant qu’il était indifférent au spectacle auquel il assistait. A la nuit, la plupart des chefs de rebelles se rendirent dans un palais du khédive, dont ils firent enfoncer les portes, et là, à la lueur des flammes qui dissipaient les ténèbres et rendaient le sommeil impossible, ils se racontèrent les uns les autres les exploits qu’ils venaient d’accomplir et sans doute préparèrent ceux qu’ils allaient accomplir encore.

Dès le lendemain, l’armée se retira sur Kafr-el-Dawar, et Alexandrie fut livrée aux Anglais, qui se décidèrent enfin à y entrer lorsqu’il ne restait plus rien à y sauver. Mais ce n’était pas tout. La dévastation d’Alexandrie fut le signal d’une orgie de massacre et de pillage qui, en un instant, se répandit dans toute la Basse-Egypte.