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En arrivant à Kafr-el-Dawar, le 12 juillet, dans la soirée, dit M. Gustave Lichtenstein, attaché au cabinet du ministère des finances, j’entendis un individu qui criait à haute voix : « Arabi a donné l’ordre de massacrer tous les chrétiens, les Israélites et les Barbarins. » Cet individu se trouvait au milieu des soldats, sur le trottoir de la station. Dans notre wagon, il y avait des femmes qui, apprenant que nous étions chrétiens, nous dirent de descendre, ce que nous nous empressâmes de faire pour éviter leurs cris. Arrivés à un autre wagon, nous demandâmes qu’on nous permît d’entrer; un individu, que je ne vis point, me demanda si j’étais Grec; je répondis que j’étais Autrichien; aussitôt il s’écria : « O chaouilch (garde), prenez ceux-ci! » Nous avons voulu fuir. J’ai alors perdu mon camarade; je n’en ai plus entendu parler ; il a été massacré. Quant à moi, je réussis à me sauver dans les champs; je passai la nuit dans un fossé; le lendemain matin, je fus découvert par un soldat, dépouillé de tout ce que je possédais et conduit devant Arabi, qui se trouvait avec Mahmoud-Samy, Ibrahim-Fanzy et un Suisse, M. Ninet. Arabi donna l’ordre de me fouiller. Mahmoud-Samy prit un couteau et déchira mes poches; je fus ensuite autorisé à rentrer au Caire. M. Ninet me demanda d’un air railleur si j’avais vu l’incendie. A la gare, j’ai aperçu douze malheureux coptes traînés sur le quai ; ils furent dépouillés de leurs vêtemens jusqu’à la ceinture, frappés à coups de bâton ou à coups de crosses de fusil ; leurs têtes et leurs corps étaient tout en sang; Mahmoud-Samy était là; je l’ai prié d’intervenir; il m’a répondu : « Pensez à votre tête et non à celle des autres. » Arabi était grave, Mahmoud-Samy frisait sa moustache d’un air narquois et suffisant; Ibrahim-Faczy paraissait enchanté.


Le 14 juillet, ces mêmes atrocités se reproduisent. Je cite le récit de Mohamed-Choukry :


Avant de descendre de la digue du canal Mahmoudieh, j’entendis plusieurs personnes dire que les soldats massacraient les chrétiens dans la gare. J’accourus. Près des tentes, une femme s’écriait en français : Mon Dieu! mon Dieu! J’arrive à elle et je trouvai Ahmed-Essa, lieutenant-colonel, debout et ayant devant lui une femme et une jeune fille de dix ans environ qu’elle serrait dans ses bras; toutes deux pleuraient et gémissaient. A quelques pas de distance, une autre femme, une Italienne, portait sur les bras un enfant. Elle criait de folie ; leurs vêtemens étaient en lambeaux et leurs têtes découvertes; elles étaient entourées de soldats, dans un état de rage et de fureur indescriptible. Aidé d’Ahmed-Essa, je parvins à les faire entrer dans une tente et j’essayai de les rassurer. Cependant, la dame française était dans un état de trouble complet, ses yeux étaient épars (sic); elle me conjurait