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accommoder à leurs conceptions symboliques; nous craignons qu’ils ne finissent par altérer aussi les sentimens moraux. Quant à l’ontologie, elle se prête à tout, n’étant elle-même qu’une sorte de mythologie plus abstraite. il y a des tribus indiennes qui sont convaincues que l’âme de ceux qui dorment va réellement dans tous les lieux où le dormeur se croit transporté, et qu’il ne faut pas le réveiller trop brusquement, mais laisser à son âme le temps de revenir dans le corps, sous peine de mort subite. Ainsi il ne faut pas trop tôt réveiller les peuples qui dorment du sommeil mythologique : c’est l’ontologie qui laisse à leur raison le temps de revenir sur la terre. Grâce à elle, tous les mythes deviennent susceptibles d’une interprétation profonde, qu’ils soient empruntés au bouddhisme, au mahométisme, au polythéisme. Sur la fin de la civilisation grecque, les philosophes d’Alexandrie retrouvaient leurs idées les plus élevées jusque dans les dogmes les plus immoraux du paganisme : qu’on se rappelle les interprétations de Porphyre, de Jamblique, d’Olympiodore, de l’empereur Julien. Saturne dévorant ses enfans, Jupiter détrônant son père ou enlevant Ganymède, Vénus désarmant Mars, Prométhée dérobant le feu du ciel; Pandore répandant sur la terre les biens et les maux: autant de symboles susceptibles d’un sens profond. Et, dans le fait, plusieurs de ces mythes renfermaient des doctrines à haute portée. Si nous nous faisions polythéistes?.. Par malheur, un mythe dépouillé de sa jeune sève, c’est ce bois mort que les solitaires de la Thébaïde s’épuisaient à arroser : la plus subtile métaphysique ne saurait le faire reverdir.


II.

Après la théorie philosophique de la chute, nous devons étudier celle du relèvement. Le moyen de ce relèvement, auquel doivent encore concourir la liberté de chacun et la solidarité de tous, c’est, en un seul mot, la charité. On connaît ce tableau de Dresde illuminé tout entier par un petit enfant; selon M. Secrétan, cet enfant est l’amour : du cœur jaillit la lumière qui rendra claire la destinée du monde. C’est sur la charité divine que M. Secrétan, avec tous les théologiens, fait reposer l’amour même de l’homme pour l’homme et, comme conséquence de cet amour, la justice humaine, le droit humain. La doctrine de ce noble esprit est encore ici la forme la plus plausible, sinon la plus orthodoxe, de la doctrine chrétienne. Pour l’établir, il s’est efforcé de démontrer les trois points suivans : 1° la charité implique la justice; 2° elle a pour principe nécessaire Dieu; 3° la charité n’est réalisable que dans