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10 août. Montmorin, infatigable de cœur, avait écrit au roi pour lui en faire part; il lui disait qu’il n’y avait plus à reculer, que soixante-dix amis résolus se trouveraient, avec des chevaux, aux Grandes-Écuries. Ne recevant pas de réponse, Montmorin s’était une dernière fois glissé au château. Madame Elisabeth, trompée, lui assurait que l’insurrection n’aurait pas lieu, que Santerre et Pétion s’y étaient engagés. La résignation était de plus en plus la forme du courage de Louis XVI.

Le même soir, après le souper, ce groupe d’hommes distingués et sans force était réuni dans le jardin de M. de Montmorin, discutant tristement toutes les chances de la situation. Malesherbes s’écria : « Je ne vois plus qu’une mesure de désespoir. Le roi s’étant interdit tout autre moyen de défense, il ne peut plus être question que de le préserver des assassins. Le parti révolutionnaire est armé contre lui, parce qu’il le suppose armé contre eux, et vous voyez quelles sont nos armes, puisque Sa Majesté se refuse à tout. » Malesherbes en était là, raconte Malouet, lorsqu’on vit arriver un domestique des Tuileries avec un paquet pour Montmorin. Le roi lui envoyait une lettre de Guadet et de Vergniaud, et une autre du premier valet de chambre Thierry.

La généreuse Gironde, républicaine pourtant, faisait une tentative pour sauver la tête de Louis XVI en amenant son abdication. Elle proposait la régence de Louis XVII, avec un conseil nommé par l’assemblée. Le projet était irréalisable; il était d’ailleurs repoussé par Marie-Antoinette. Montmorin pensait que si Louis XVI persistait à se refuser à tout projet d’évasion, l’acceptation de la proposition des Girondins, malgré l’humiliation personnelle qui suivrait son exécution, était peut-être la seule ressource.

On possède le procès-verbal, écrit de la main de Lally-Tollendal, d’une autre séance tenue le 4 août dans ce même jardin, entre les mêmes amis[1]. Chacun rendait compte de ce qu’il avait découvert; Lally avait reçu une lettre anonyme, dans laquelle on lui racontait une conversation chez Santerre ; on y annonçait le projet de marcher sur les Tuileries, de tuer le roi dans la mêlée, de s’emparer du prince royal. Au moment où les confidences touchaient à leur fin, accourut Malesherbes. Il venait presser Mme de Montmorin et Pauline de Beaumont de se retirer à la campagne. La crise approchait et Paris n’était plus la place des femmes. Elles ne voulurent pas partir. Elles songèrent à demander asile à Mme de Nanteuil, rue Neuve-des-Mathurins. Seule, Mme de La Luzerne se rendit pour quelques semaines à Luciennes. Calixte avait donné

  1. Voir les notes du tome II de l’Histoire de la Révolution de M. Thiers.