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à présider le club des jacobins de Sens, le bonnet rouge sur la tête. Instruit du mandat d’arrêt qui ne faisait pas d’exception pour lui, il avala en se couchant une pastille de Cabanis dont il avait eu la précaution de se munir depuis le commencement de la révolution. Le lendemain on le trouva mort dans son lit. Le reste de la famille fut conduit à Paris et enfermé à la prison des Madelonnettes.

Les commissaires du comité révolutionnaire se transportèrent le lendemain au château de Passy. Ils y trouvèrent Mme et M. de Sérilly, Mme de Montmorin, ses deux filles, Mme de Beaumont et Mme de La Luzerne, et Hugues Calixte de Montmorin, son fils. Folle de frayeur, la vicomtesse de La Luzerne s’était précipitée dans sa chambre[1]. On ne put tirer d’elle aucune parole. Sa mère et son frère, à qui les commissaires demandèrent si elle était habituellement dans cet état, répondirent que, depuis un an, elle avait la tête égarée. Le chirurgien du bourg voisin, Edme Garnier, fut appelé et certifia que, depuis cinq semaines, elle avait le pouls faible et l’œil hagard[2]. On confisqua sur la jeune femme quelques lettres écrites en anglais par son mari, attaché à l’ambassade française à Londres, et qui n’avait pu rentrer. On trouva enfin dans le coffre de son secrétaire une casserole de cuivre où il y avait des clous de fauteuil et des anneaux de lit qui étaient tout rouillés. Quand on l’interrogea sur ses intentions, elle prononça d’une voix éteinte ces paroles: « J’ai voulu faire du vert-de-gris pour m’empoisonner, si je suis toujours malheureuse. » Les forcenés la laissèrent sous la garde de sa sœur, Mme de Beaumont, qui dut signer le procès-verbal.

Quand, le lendemain, les recruteurs de la guillotine voulurent transporter à Paris tous les hôtes du château, Mme de Beaumont se présenta : on ne voulut pas d’elle. Elle insista et monta dans la voiture ; sa pâleur, sa maigreur frappèrent les regards. Les agens de la convention, après une demi-heure de marche, jugèrent que cette ombre serait un embarras. Ils l’abandonnèrent sur la route à peu de distance de Passy.

Sa mère, sa sœur, son frère furent compris avec les Loménie de Brienne, dans l’affaire de la princesse Élisabeth. Le réquisitoire de Fouquier-Tinville commet les plus grossières erreurs. Il ne prenait même plus la peine de vérifier le nom et le domicile : ainsi Calixte Montmorin est indiqué comme domicilié à Passy, près Paris ; sa mère qui était une Tanne est appelée Tanesse ; elle est inculpée textuellement : « d’avoir été la femme du scélérat qui a trahi la France pendant toute la révolution et qui a subi la terrible vengeance du

  1. Archives nationales. — Procès-verbal.
  2. Archives nationales, affaire Élisabeth Capet.