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Qui voit-elle? Le comte de Brienne qu’elle connaissait et dont elle se sent reconnue. Elle s’évanouit. Pour raconter ces détails, un ami des Montmorin était là aussi dans la foule. C’était M. Lemoinne, l’ancien secrétaire du ministre. Il suivit les voitures jusqu’à la place de la Révolution. Dans la dernière étaient Mme de Montmorin et son fils. Quoique âgée de quarante-neuf ans à peine, Mme de Montmorin paraissait en avoir soixante. Ses cheveux avaient blanchi. Elle était calme et satisfaite de quitter ce monde. Calixte de Montmorin, debout, tête nue, tenait dans sa main un objet qu’il portait fréquemment à ses lèvres. Sa sœur Pauline, la confidente des premiers troubles de l’amour, lui avait vu emporter, au moment de l’arrestation à Passy, le petit ruban bleu que Mme Hocquart lui avait laissé dérober un soir à Luciennes. Il avait vingt-deux ans. Sa dernière pensée allait où il avait laissé son cœur. Quand les charrettes s’arrêtèrent, respectueux envers Madame Elisabeth, Calixte s’inclina devant elle. A chaque fois que le couperet de la guillotine descendait, il criait : « Vive le roi ! » avec un courageux domestique de la maison de Brienne, compris lui aussi dans la fournée. Dix-neuf fois il poussa le cri de : « Vive le roi! » Lorsque la vingtième victime monta les marches, il essaya bien de crier, mais, cette fois, le cri s’arrêta dans sa poitrine : c’était sa mère ! Calixte fut guillotiné après elle. Leurs corps furent enterrés à Mousseaux le même soir[1].

Le procès-verbal est conçu en ces termes : « Ils ont, en notre présence, subi la peine de mort à l’heure de six de relevée. Signé : Château. Enregistré gratis le 23 floréal an II. Signé: Judée. » Toute réflexion, tout commentaire affaibliraient la grandeur de ce drame. On s’explique maintenant comment Pauline de Beaumont répétait fréquemment ce verset de Job : « Pourquoi la lumière a-t-elle été donnée au misérable, et la vie à ceux qui sont dans l’amertume du cœur? »


A. BARDOUX.

  1. Archives nationales. — Procès de Madame Elisabeth.