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convier à venir s’établir, après maintes démarches et sollicitations, dans des localités qu’elles n’auront pas choisies, où il leur faudra vivre comme parquées sous la tutelle d’une administration qui leur imposera toute sorte de conditions d’existence les plus directement contraires à leurs penchans. Les auteurs du projet de loi font donc, à notre sens, complètement fausse route quand ils oublient cette vérité proclamée par tous les publicistes ayant autorité en ces matières, « que la prospérité d’une colonie se mesure toujours exactement au degré de liberté accordée à ceux qui l’habitent. »

Mais il est temps de laisser de côté les considérations générales, et nous avons hâte d’étudier de plus près les dispositions principales du projet des 50 millions. Ce qui nous aidera singulièrement dans cette tâche, c’est qu’elles ont été, à plusieurs reprises, l’objet d’un examen attentif de la part des conseils-généraux de l’Algérie et du conseil supérieur du gouvernement. Quoique renfermés dans des limites à notre avis trop restreintes et ne s’occupant, comme en France, que des intérêts des localités qu’ils représentent, les conseils-généraux des départemens d’Alger, d’Oran et de Constantine, n’ont pas laissé que de traiter, à l’occasion et par échappées, les questions qui nous occupent en ce moment et leurs impressions sont précieuses à connaître. Quant au rôle des membres du conseil supérieur, son importance résulte, à la fois de sa composition et des droits que lui confère l’organisation actuelle de notre colonie algérienne. M. le général Chanzy le définissait excellemment lorsqu’à l’ouverture de la session de novembre 1876, il disait à ses collaborateurs : « Vous êtes bien ici, messieurs, les membres autorisés et indépendans de la grande assemblée où s’élaborent les affaires importantes dont la solution ne peut appartenir qu’au gouvernement et aux chambres. Chacun de vous y a sa place marquée, soit par sa position, soit par ses services, soit par la confiance des conseils-généraux, tous, par la connaissance des besoins du pays et de sa véritable situation. » Le gouverneur-général exprimait en même temps cette pensée : « que, pour mettre les représentans de l’Algérie au sénat et à la chambre en état de servir les grands intérêts qui leur étaient confiés avec l’autorité que donne un examen approfondi des affaires, il était indispensable qu’ils vinssent prendre part aux discussions du conseil supérieur apportant eux-mêmes à cette assemblée une force nouvelle puisée dans leur haute situation[1]. » Mais ces messieurs avaient cru devoir soulever des objections. En vain, le général Chanzy insista de nouveau, en 1877, pour que « les portes du conseil supérieur leur fussent ouvertes par la

  1. Discours du général de Chanzy, gouverneur-général civil de l’Algérie, à l’ouverture de la session du conseil supérieur du gouvernement (novembre 1876).