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plus d’égards; lui, du moins, on le comprenait; mais, en somme, à quoi bon Mozart quand on avait Rossini?

Pour le chant, c’était pis encore. Tandis que l’Italie d’autrefois peuplait le monde de ses produits, on voyait d’année en année diminuer le nombre des virtuoses sortis de ses conservatoires. C’est au dehors que se formaient désormais les interprètes accrédités de ses chefs-d’œuvre. Cette glorieuse tradition de l’art du chant qui, pendant des siècles, fut son partage, l’Italie l’aurait-elle donc abdiquée au profit des pays du Nord? Et, si le fait est vrai, d’où vient-il? En accuserons-nous l’insuffisance des études techniques, la dépravation du goût, la désuétude? Assurément il y a de tout cela; reste cependant un mystère que je cherche en vain à m’expliquer. Le matériel des voix est aujourd’hui ce qu’il était il y a cent ans ; ni l’air salubre des montagnes du Piémont, ni les conditions climatologiques de la Toscane et de la Romagne n’ont cessé d’agir sur la souplesse et la vigueur des organes. Quelle que soit la mauvaise hygiène de la vie moderne, elle ne saurait motiver cette décadence ; il faudrait donc reprocher à l’éducation la plus grande part du mal. S’il se rencontre ailleurs des professeurs ignorant leur métier, ou le pratiquant avec une affligeante incurie, le cas est aujourd’hui des plus communs en Italie. On ne s’y occupe que vaguement des principes élémentaires : comment la voix se forme et se pose, comment se traite la respiration, ce sont là menus obstacles à franchir d’un bond pour arriver tout de suite au but suprême : enlever à tour de bras et de poumons l’air de bravoure, pousser haut et ferme l’ut dièse de Tamberlick, ou, si vous êtes femme, creuser le son de manière à vous forger un timbre d’androgyne, la pédagogie ayant cours ne vous en demande pas davantage. Les bons maîtres n’ont pourtant point tous disparu ; quelques-uns fonctionnent encore mais isolément, Lamperti à Milan, Panofka à Florence, Bianchi à Bologne et deux ou trois Napolitains fort vieux qui pourraient avec raison s’écrier : «Après nous le déluge! » Une commission dont faisaient partie Verdi, Casamorata, directeur du conservatoire de Florence, et Mazzuccato, du conservatoire de Milan, fut nommée en 1872 pour aviser à la situation. Milan eut surtout à s’en louer, grâce aux efforts de Mazzuccato, qui mourut à la peine.

Les trois conservatoires de Turin, de Rome et de Venise, d’origine toute récente, s’annoncent bien, sans préjugés ni grandes phrases, sur « l’héritage de nos pères. » A Turin, c’est Pedrotti qui gouverne, musicien distingué qu’assiste un groupe de professeurs intelligens; à Rome, c’est Sgambati, l’élève de Liszt, associé à Pinelli, l’élève de Joachim. On remarquera la même influence allemande s’exerçant à Florence par l’entremise d’un fervent disciple de Hans de Bulow, Bernardini. Ainsi l’Italie va se régénérant dans le