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était l’armée. Je reproduis mot pour mot cette conversation télégraphique d’un comique si naturel et si profond, « Abdel-Al : Où est l’ennemi ? — Arabi : J’ignore la position qu’il occupe, car la ligne télégraphique de Zagazig ne répond plus. Il vaut mieux communiquer avec Talkha afin que, de son côté, il se mette en communication avec Mansourah, et obtienne des renseignemens sur le lieu où se trouvent nos soldats qui devront m’être envoyés, voie de Boulaq-Dakrour. — Abdel-Al : Vous n’avez donc pas pu savoir où se trouvent vos soldats dispersés ? — Arabi : Je n’ai pas pu savoir où ils se trouvent. Prenez des mesures pour découvrir leur position. » Ainsi Arabi avait laissé ses soldats à l’aventure sans s’occuper même de ce qu’ils devenaient et il demandait à Abdel-Al de lui en donner des nouvelles. Celui-ci n’y comprenait plus rien : tant de faiblesse, tant de lâcheté, après tant de faconde, l’étonnaient lui-même. Il continuait à télégraphier au Caire. D’abord Arabi et Toulba, qui s’étaient transportés au bureau télégraphique, lui répondaient ; mais bientôt l’employé seul put communiquer avec lui. Arabi avait été pris par les Anglais, qui étaient entrés au Caire sans coup férir. « Abdel-Al : Où sont Arabi et Toulba ? — L’employé : Ils se sont rendus à l’Abassieh en conformité de la soumission au commandement de la cavalerie anglaise. — Abdel-Al : Où est le commandant de la cavalerie anglaise ? ’— L’employé : Il est à l’Abassieh avec ses hommes. — Abdel-Al : Personne ne s’est-il opposé à son entrée à l’Abassieh ? — L’employé : Personne ne s’est opposé à son entrée ; on a hissé le drapeau blanc. — Abdel-Al : Appelez immédiatement Arabi, je veux lui parler. — L’employé : Jusqu’à présent il n’est pas de retour de chez le commandant anglais. — Abdel-Al : Envoyez immédiatement quelqu’un le chercher. — L’employé : Très bien ! — Abdel-Al : N’est-on pas de retour ? — L’employé : On n’est pas de retour. — Abdel-Al : Dites-nous donc la cause du retard. — L’employé : Je ne la connais pas. — Abdel-Al : N’est-on pas de retour ? — L’employé : On n’est pas de retour jusqu’à présent. » Il était tard, la nuit se passe. Le lendemain, dès l’aurore. Abdel-Al écrit encore : « Envoyez immédiatement chercher Arabi afin que je lui parle. — L’employé : Depuis hier, Arabi et Toulba sont avec le commandant anglais. Je crois qu’ils ont été enfermés. — Abdel-Al : Envoyez immédiatement un messager spécial pour qu’on s’assure où ils sont, et pour qu’on m’en informe sans retard. — L’employé : On a affirmé au messager qu’ils étaient en prison. »

Et ils y étaient en effet. Le Caire était tombé en même temps que Tel-el-Kébir. A lire les dépêches dont on remplissait alors les journaux d’Europe, il semblait que le Caire fût devenu inexpugnable, que des masses profondes de soldats en défendissent l’entrée, que des milliers de Bédouins en interdissent l’approche, que des