Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certain nombre de pachas dévoués au khédive, — des pachas que Toulba traitait de traîtres et d’ennemis de la religion, — ont singulièrement contribué à lui rendre la victoire facile. Aussi, tant qu’a duré la guerre, personne ne contestait que les prisonniers dussent appartenir au khédive et non à l’Angleterre. Dans une conversation qui eut lieu à ce sujet à Alexandrie, au début des hostilités, entre Chérif-Pacha et sir Édouard Malet, le ministre plénipotentiaire anglais, les deux interlocuteurs convinrent qu’il ne pouvait y avoir de doute à ce sujet, puisque toutes les opérations étaient faites au nom du khédive ; puisque le général, comme l’amiral anglais, n’agissaient qu’en vertu d’ordres écrits signés par le khédive ; puisque les proclamations officielles déclaraient avec insistance que ceux qui se soumettraient à eux seraient considérés comme ayant fait leur soumission au khédive, tandis que ceux qui leur résisteraient seraient considérés comme résistant au khédive. En vertu de ces principes, contestables peut-être, mais dont il fallait bien accepter les charges puisqu’on en recueillait les bénéfices vis-à-vis de l’Europe et vis-à-vis de l’Égypte, tous les prisonniers furent livrés à l’autorité égyptienne. Le premier d’entre eux, Mahmoud-Fhemy, avait été pris avant la fin de la guerre ; on le remit immédiatement à l’autorité locale. Il en fut de même des autres lorsqu’ils vinrent, un à un, se rendre au commandant anglais, après sa foudroyante entrée dans la ville du Caire.

Je demande pardon d’insister sur ce point, mais il est capital. Sans doute, dans une guerre ordinaire, les prisonniers auraient dû rester à ceux qui les avaient capturés. Mais l’Angleterre n’avait pas voulu faire en Égypte une guerre ordinaire. Ne pouvant obtenir un mandat de l’Europe, qui s’était refusée, dans la conférence de Constantinople, à en délivrer à qui que ce fût, elle s’en était fait donner un de l’Égypte elle-même. Ses ministres, ses orateurs officiels ne parlaient pas autrement à Londres que ses généraux à Alexandrie. Ils répétaient à satiété, ils déclaraient, dans le plus retentissant des langages, que l’armée anglaise n’était que l’armée du khédive, qu’elle n’allait faire aucune conquête sur les bords du Nil, qu’elle ne devait y opérer aucune révolution, qu’elle devait tout simplement y prêter main-forte à un souverain allié contre quelques rebelles dont les crimes ne pouvaient plus être tolérés. Il s’agissait d’une campagne du genre de l’expédition d’Espagne sous la restauration, ou de l’intervention de la Russie contre les Hongrois en 1849. L’Angleterre ne poursuivait aucun succès personnel ; elle se disposait à étonner le monde, qui n’y est guère habitué en effet, par son désintéressement. À peine le khédive remis sur son trône, on la verrait s’effacer, s’incliner devant le pouvoir qu’elle aurait si généreusement remis entre