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sérieux, de ne pas croire que l’Angleterre tînt le moins du monde à son pouvoir, mais de s’apprêter, au premier acte d’insubordination, à voir son trône chancelant renversé par ceux mêmes qui venaient de le remettre en place et de le réinstaller dans ce palais d’Abdin, où Arabi l’avait si outrageusement renversé.

Ces menaces n’étaient pas vaines. Quelque temps après sa première conversation avec Chérif-Pacha, sir Édouard Malet communiqua au ministre égyptien une première note de lord Granville consentant à la remise des prisonniers de guerre entre les mains des autorités locales, mais à la condition qu’aucune condamnation à mort ne pût être prononcée sans l’assentiment du gouvernement de la reine. Chérif-Pacha protesta ; il fit observer que c’était là un bien mauvais moyen de rétablir l’autorité du khédive, puisque du premier coup on lui enlevait le droit de juger ceux-là mêmes qui avaient conduit le pays à sa perte et menacé son gouvernement ; il déclara à sir Édouard Malet que cette démonstration de l’Angleterre aurait, dans les circonstances actuelles, le caractère d’une véritable intervention en faveur des rebelles et ne manquerait pas d’être interprétée ainsi, au grand détriment du prestige du khédive ; il ajouta qu’il s’ensuivrait infailliblement une déviation déplorable dans la politique présente et à venir. Néanmoins, si l’Angleterre était préoccupée de l’insuffisance des garanties que pouvaient offrir les formes de la justice du pays, Chérif-Pacha dit qu’il était facile d’y remédier au moyen de trois concessions que l’Égypte était résolue à faire sans qu’on les lui demandât. La première concession était qu’un officier supérieur anglais, autorisé à suivre la procédure, s’assurât par ses propres yeux qu’aucune violence n’était tentée ou commise contre les accusés : c’était là le point essentiel, car la seule objection de sir Édouard Malet à la remise des rebelles au gouvernement égyptien consistait dans la crainte que leur procès ne ressemblât à celui des Circassiens, d’odieuse mémoire, et qu’on n’usât contre les Arabes des procédés cruels qu’ils avaient employés eux-mêmes contre leurs ennemis. L’Angleterre ne pouvait évidemment pas autoriser de pareilles représailles. Mais étaient-elles vraisemblables ? N’était-il pas injurieux pour le khédive, auquel on n’a jamais reproché qu’une trop grande douceur de caractère, de le supposer capable de soumettre à la torture les hommes que l’armée anglaise livrait à sa justice ? Quoi qu’il en soit, pour éviter l’ombre même d’un risque de ce genre, le gouvernement égyptien réclamait spontanément la surveillance d’un officier anglais. La seconde concession était la publicité des débats de la cour martiale, et la troisième la faculté accordée aux accusés de se choisir des défenseurs. C’étaient là de grands et importans changemens aux mœurs du pays. L’Angleterre parut les agréer. Quelques jours après, sir Édouard Malet