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commission, mais n’y avait pas voix délibérative, ses appréciations personnelles, bonnes ou mauvaises, étaient portées d’abord à sir Edouard Malet, plus tard à lord Dufferin, et mises immédiatement au-dessus de celles de la commission. Elles dégénéraient ensuite en questions diplomatiques. Il n’y avait plus ni loi, ni témoignage, ni justice, ni tribunal ; il y avait seulement le caprice constant et la haute fantaisie en matière légale d’un colonel anglais. C’est le colonel Wilson qui a fait l’enquête contre les rebelles, la vraie, la sérieuse enquête de la commission n’ayant été tenue pour rien ; c’est lui finalement qui a rendu le jugement sous le pseudonyme des membres d’une cour martiale à laquelle on n’a même pas permis d’examiner les pièces du procès. Assurément, le colonel Wilson peut être un homme d’une grande intelligence ; ses compatriotes en font, sans doute à bon droit, le plus grand cas ; mais il est permis de supposer que son infaillibilité comme jurisconsulte n’est pas des mieux démontrées. Et fût-elle réelle, fût-elle indéniable, qu’on serait encore autorisé à trouver pour le moins étrange qu’après avoir livré les rebelles au gouvernement égyptien, qu’après avoir reconnu et proclamé sa juridiction, qu’après avoir fixé dans des documens diplomatiques et des conventions formelles la manière dont elle devrait s’exercer, le gouvernement anglais ait méconnu tous ses engagemens, violé toutes ses promesses, passé brutalement au travers de la commission d’enquête et de la cour martiale organisées sous sa surveillance, sacrifié enfin les intérêts de la justice et de l’autorité du khédive aux décisions arbitraires d’un soldat.

La commission d’enquête fonctionnait cependant avec une régularité parfaite. Elle avait choisi pour lui servir de délégué et pour jouer le rôle de ministère public, un fonctionnaire d’un mérite incontesté, très modeste, très intelligent, très travailleur, qui ne s’était jamais mêlé à aucune intrigue politique, Borelli-Bey, conseiller et avocat du gouvernement égyptien près des tribunaux mixtes. Borelli-Bey jouissait de l’estime universelle ; tout le monde connaissait son dévoûment à l’Egypte ; tout le monde savait qu’il n’apporterait dans le procès des rebelles d’autre passion que celle de la vérité. L’instruction se poursuivait donc dans des conditions d’impartialité absolue, lorsqu’un premier incident vint compromettre ses travaux. Tout à coup, un avocat anglais, M. Marc Napier, envoyé de Londres pour la défense d’Arabi et de ses complices par M. Blunt, le chef de l’étonnante mission arabe dont j’ai parlé précédemment, débarqua au Caire, annonçant qu’il allait s’occuper sans retard de la mission qui lui était confiée. De son côté, le colonel, Wilson, qui avait chaque jour de longs entretiens avec Arabi dans sa prison, le prévint qu’il lui était arrivé un avocat d’Angleterre, et