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en perdant le cardinal de Châtillon, qu’on croit avoir été empoisonné par quelque apostat français.  »


IV

Des trois frères, l’amiral seul restait : il était sans cesse occupé des affaires de son parti et entretenait avec le roi une correspondance très active ; les politiques auraient voulu le voir à la cour plutôt qu’à La Rochelle : « Ah ! écrivait L’Hôpital, si M. de Chastillon trouvoit une occasion de baiser la main du Roy, il lui souffleroit deux ou trois mots à l’oreille et lui apprendroit de combien d’intrigues il est victime, de quels dangers son trône est menacé ! S’il pouvoit le réveiller du profond sommeil dans lequel il est plongé, il relèveroit son autorité, gouverneroit le peuple qui l’appelle à grands cris, et prendroit les rênes de l’état, que les mains trop faibles du jeune prince ne peuvent encore maintenir. » Quelles paroles l’amiral devait-il souffler à l’oreille du jeune roi ? Comment le tirerait-il de son sommeil ? Il n’y avait qu’un moyen : la guerre à l’Espagnol. La guerre seule pouvait tirer la France de l’abîme de maux où elle était tombée ; Charles IX était faible, bizarre, mais il avait en lui du sang de François Ier. Les politiques avaient conçu un double projet : ils voulaient marier le fils de Jeanne d’Albret à la sœur du roi ; ils voulaient envoyer une armée française dans les Pays-Bas. Une entrevue très secrète eut lieu entre le roi et le comte Ludovic de Nassau : celui-ci avait quitté La Rochelle, suivant le désir de Coligny, avec Téligny et La Noue ; le roi était accompagné du maréchal de Montmorency et de Dainville. Le comte Ludovic parla au nom du prince d’Orange : il représenta que les Pays-Bas étaient révoltés contre la tyrannie espagnole, que leurs villes recevraient volontiers des garnisons françaises par ordre du prince d’Orange, que le roi d’Espagne n’avait guère que trois mille hommes de troupes sûres ; qu’avec quelques vaisseaux, on garderait facilement la mer ; et finit en faisant les propositions suivantes : « Le roy de France se contentera de la Flandre et du pays d’Artois, qui faisoient partie autresfois de son royaume. Le Brabant, la Gueldre et le pays de Luxembourg, anciens fiefs de l’empire, y seront réunis. La Zélande et le reste des îles demeureront à la reine d’Angleterre pourveu qu’elle veuille s’associera l’entreprise.  » Certes, il y avait dans ces offres de quoi tenter le roi de France ; Charles IX demanda pourtant à prendre conseil de Coligny avant de s’arrêter à une résolution. Il invita Téligny et le comte Ludovic à presser l’amiral de se rendre auprès de lui. Il lui écrivit de sa propre main pour hâter son arrivée : « Je suis fort certain, écrivait Walsingham à Burleigh, que le roy n’a poinct de sujet dont il ait