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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 août.

La politique est pleine de contrastes. Tantôt elle se traîne dans les obscurités, dans les vulgarités, dans les tracas laborieux ; tantôt elle se résume et se concentre dans un de ces événemens qui frappent soudainement l’opinion en rouvrant devant elle de mystérieux horizons. Où en est-on aujourd’hui en Europe et en France ? Qu’en est-il pour nous, et de nos affaires intérieures, et de nos expéditions lointaines, et de ces avertissemens plus ou moins menaçans qui nous viennent comme des bourrasques d’Allemagne, qui coïncident avec une certaine agitation de diplomatie ? Tout reste plus que jamais assez confus, il faut l’avouer. L’avenir n’est clair pour personne, et c’est à ce moment, c’est au milieu de ces préoccupations qu’a éclaté, pour ainsi dire, cette mort de M. le comte de Chambord, qui a tout éclipsé pour un instant, qui ajoute un deuil nouveau, une scène émouvante de plus à l’histoire des races royales dispersées et ballottées par les révolutions du temps.

Elle n’avait plus rien d’imprévu, il est vrai, cette fin d’une grande et noble existence. Depuis que le prince avait été saisi par le mal, il y a un peu plus de deux mois, on comptait ses jours, presque ses heures. Il ne vivait plus pour le monde, il achevait de vivre, il s’éteignait par degrés dans des souffrances qui ont pu être tout au plus atténuées, qui ne pouvaient être vaincues par la science. Il s’est éteint définitivement sans se plaindre du mal, sans murmurer contre la destinée ingrate qui le faisait mourir dans l’exil, mais non sans envoyer un regret attendri à la patrie absente, et lorsqu’il a rendu son âme éprouvée, il s’est trouvé que ce roi sans royaume, ce prince sans couronne, ce proscrit des révolutions était quelque chose de plus qu’un personnage ordinaire dans la société européenne. A son lit de mort, à sa dernière heure comme durant sa maladie, il a été l’objet d’un intérêt croissant, du dévoûment de ses amis, du respect de ses ennemis, de l’attention du monde. Pendant quelques jours ou quelques semaines, tous les regarda