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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/354

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flamme. Comme on pressent l’attrait irrésistible qui émanait de toute sa personne et la vie que, dans sa débilité, elle savait cependant communiquer au monde distingué et peu nombreux qui l’entourait ! On ne pouvait se passer d’elle.

Si la politique n’occupait pas le premier plan dans les conversations, elle n’en était cependant pas exclue. La longue guerre de la révolution finissait dans la gloire, et la reconnaissance pour le général auquel l’opinion attribuait la paix d’Amiens touchait au fanatisme. Joubert, durant cette éclatante période du consulat, ne tarissait pas d’éloges. Ce n’était plus le même homme qui, sous la restauration, avait horreur de la politique, à ce point qu’il disait : « La politique ôte la moitié de l’esprit, la moitié du droit sens, les trois quarts et demi de la bonté, et certainement le repos et le bonheur tout entiers. » Fontanes n’était pas le moins entraîné. Il partageait ses admirations entre Bonaparte et un jeune Breton, à peu près inconnu, dont il parlait comme d’un écrivain de génie. Il ne tarissait pas sur leur amitié à Londres après fructidor, sur leurs longues promenades et leurs rêveries. Il racontait qu’attardés souvent dans la campagne, ils regagnaient leur demeure guidés par les incertaines lueurs qui leur traçaient à peine la route à travers la fumée du charbon rougissant autour de chaque réverbère. Fontanes s’attendrissait encore au souvenir de la lecture faite, devant son ami et lui, des Mémoires manuscrits de Cléry, le valet de chambre de Louis XVI, et il excitait autant de curiosité qu’il éveillait de sympathies autour de son compagnon d’exil. Il l’appelait à Paris pour achever l’impression d’un beau livre que seul il connaissait. Aussi quelle ne fut pas l’émotion de Mme de Beaumont lorsque Fontanes lui annonça que cet ami était débarqué à Calais, dans les premiers jours de mai 1800, qu’il était allé le chercher au fond d’une petite chambre, louée par Mme Lindsay et Auguste de Lamoignon, dans une auberge aux Ternes ; qu’il l’avait mené chez lui, et l’avait ensuite conduit chez Joubert ! Elle allait donc aussi le connaître. Peu de jours après, Fontanes présentait en effet René de Chateaubriand à Pauline de Beaumont.

C’en était fait, elle avait cessé de s’appartenir.


A. BARDOUX.