Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

langue barbare qui est quelquefois la leur, des individualités sans mandat. Mais ils feraient mieux, si leurs préjugés sont fondés en raison, d’essayer de le démontrer ; et l’on conçoit aisément qu’à s’entendre ainsi traiter d’auteur dramatique et de romancier, sans plus, comme si ces deux mots disaient tout, et n’avaient pas besoin de commentaire, la bile de M. Dumas, toujours facile à s’émouvoir, se soit cette fois-ci particulièrement et vivement émue.

Car, était-il, en vérité, si difficile, ou si superflu, d’expliquer pourquoi l’argumentation de l’auteur dramatique ou du romancier, dans toute question de ce genre, est nécessairement suspecte ? Tant de choses qui vont sans dire ne vont-elles pas bien mieux encore en les disant ? Et l’on aurait ainsi procuré à M. Dumas une bonne occasion de ne pas se mettre si fort en colère, ou, s’il persistait à s’y mettre, on lui aurait du moins imposé l’obligation de nous dire les motifs qu’il avait de s’y mettre ; — et tout le monde y eût assurément gagné.


I

Est-il bien sûr, en premier lieu, que ce soit « mépriser, » comme dit M. Dumas, les auteurs dramatiques et les romanciers, que de se défier un peu de la façon dont ils ont accoutumé de traiter les questions de morale sociale ? Autant dire que ce serait « mépriser » les poètes, Lamartine ou Victor Hugo, par exemple, que de les croire inhabiles à la politique, et les hommes politiques, Thiers ou Guizot, si vous voulez, que de les croire impropres à la poésie ? Mais c’est constater tout simplement, une fois de plus, que chacun de nous a ses aptitudes, ou encore, que toute terre ni tout arbre ne portent pas indistinctement tous les fruits ; et, jusqu’à ce que l’expérience ait prouvé le contraire, il semble au moins que ce soit une thèse que l’on puisse raisonnablement soutenir.

On sait comment plaident les avocats, et que le triomphe de leur art, dont je n’ai garde ici de médire, consiste à glisser sur les points faibles d’une cause, pour appuyer d’autant sur les autres et, ainsi, les faire plus adroitement ressortir. N’est-ce pas le cas, évidemment, de tout auteur dramatique et de tout romancier, dès qu’il plaide une cause : la cause des filles séduites ou des enfans naturels ? Et encore peut-on dire que l’avocat, quoi qu’il en ait, reçoit comme des mains du client sa cause toute faite ; il ne choisit pas son « espèce, » il la prend, à peu de chose près, telle que la réalité la lui livre ; et, ne pouvant absolument pas faire que ce qui est ne soit pas, il rencontre inévitablement, dans toute cause qu’il accepte, une part de vérité qui bride et qui refrène, — un peu plus, un peu moins, — le libre élan de