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savons quelle est l’habileté des ingénieurs, la science professionnelle des officiers, la valeur des équipages. Mais, en l’état actuel des choses de la mer, et tant que des modifications profondes ne se seront pas accomplies, déplaçant la supériorité numérique des unités de combat, toutes, à peu près, de valeur égale pour l’attaque et pour la défense, si nous nous plaçons dans l’hypothèse essentiellement italienne d’une guerre entre la France et l’Italie, cette vérité que nous cherchons nous apparaît tout entière dans les pages courageuses que nous transcrivons sans commentaires. Elles sont, en effet, signées d’un des plus braves officiers de la flotte italienne, M. Bonamico.

« Renonçant à la possibilité de soustraire toutes nos cités maritimes au bombardement par la construction de défenses maritimes, nous n’avons plus d’autre facteur défensif que l’escadre, ou les flottilles locales, qui devront dans ce cas affronter tactiquement la flotte ennemie ; mais, tandis que contre l’offensive externe et contre la plus menaçante des attaques côtières, il était possible, même dans les conditions présentes, de lutter avec quelque espoir de succès, ici nous ne pouvons avoir aucune confiance. Il ne nous reste ainsi d’autre solution que de sacrifier les villes, ou de payer, heureux si cela suffit, leur rançon, puisque s’attaquer à la flotte ennemie, ce serait condamner la nôtre sans autre, espoir que de sauver l’honneur des armes. Ce sacrifice ne sauverait pas les villes et laisserait le pays en butte à des menaces qui, en peu de temps, consommeraient sa ruine.

« Laisser sans défense, découvertes, pour ainsi dire abandonnées, tant de richesses et de sources de vie, sans même tenter de les disputer à l’ennemi, c’est un fait si nouveau dans l’histoire militaire de toutes les nations, et si humiliant, que l’esprit se refuse à l’accepter ; et il faudra une grande force de caractère, une prudence virile, un sentiment profond de ce qu’on peut et de ce qu’on doit, pour résister à la tentation fébrile de marcher à la rencontre de la flotte ennemie et d’engager la première et suprême bataille. Personne jusqu’ici n’a dit au pays que nous devions sauver la flotte et sacrifier les villes, et pourtant il faut que le pays se persuade de cette dure nécessité et qu’il s’habitue à l’idée de savoir la flotte inactive et concentrée à la Maddalena, pendant qu’on rançonnera, bombardera, incendiera, pour ne pas dire pis, les plus florissantes cités. Si exagérée que puisse paraître cette pensée, quelle que soit la répugnance, je dirai plus, quelle que soit l’épouvante qu’éveille cette résignation qui sera qualifiée de lâcheté, j’ai dû après avoir longtemps lutté contre moi-même, courber la tête devant cette triste réalité. »