lui en jette les morceaux au visage : « Nous nous battrons ! — Ah ! par Dieu, oui ! »
Qu’ils ne se battront pas, le public le sait. Il sait aussi que ce n’est pas Mme Evrard qui décidera Fabrice à se jeter dans les bras d’André ? il a la satisfaction de voir le père succéder à la mère dans la chambre de son fils et d’entendre sa confession. La chose est même plus solennelle que ne l’exigeaient le caractère du pénitent et du confesseur : le bel Armand se frappe la poitrine pour avouer le péché qui rend ce duel impossible ; au lieu de le narrer comme un accident de sa vie galante, qui n’est pas fait pour scandaliser un tel fils, il le déclare comme un crime qui ferait reculer Fabrice d’épouvante. Le jeune homme, d’ailleurs, se pique d’égaler son père en pieux sentimens : « Je te demande pardon, s’écrie-t-il, d’avoir entendu ce que tu viens de me dire, et je te supplie de l’oublier. » On n’est pas meilleur fils de Noé. Cependant le patriarche Armand s’est confessé à voix haute : André se tenait derrière la porte, et voilà qu’il sait tout. Il entre, les yeux pleins de larmes, un sombre désespoir sur la face. Il ne veut plus tuer Fabrice, mais il ne veut plus épouser Jeanne ; il refuse de devoir son bonheur au séducteur de sa mère et brûle d’entraîner loin de cette maison l’honnête homme qui l’a élevé. Il faut que cet honnête homme paraisse, s’inquiète, s’étonne de l’embarras où il trouve Armand et les deux jeunes gens ; il faut qu’André, à présent, craigne de lui faire deviner le fatal secret pour qu’il se résigne à devenir l’heureux mari de Jeanne. Il le sera donc enfin, et, comme il ne pourrait supporter de vivre sous le même toit que le bel Armand, il emmènera sa femme chez son père selon le cœur, chez Laroche. Ainsi, outre cet ingénieur tombé dans sa famille Laroche a encore cette aubaine d’une nièce que son frère n’a pas eu la peine de faire : c’est la revanche du veuf et le châtiment du joli garçon. Le bel Armani voit d’un œil désolé le meilleur de ses enfans et sa nièce, presque sa fille, franchir le seuil de sa porte. « Les fils vengent les pères, » lui murmure à l’oreille son confident ; « et les consolent, » ajoute tout bas Fabrice ; sur cette parole, qui la ramène du ton héroïque à l’humain, s’achève doucement la comédie.
On voit, en effet, que cette comédie, malgré la violence de la situation capitale, est humaine, modérée, traitable, — comme on voit que cette comédie, malgré la banalité de cette situation, est originale et nouvelle. C’est dans le second acte que gît la nouveauté comme l’humanité de l’ouvrage, et c’est là que se trouve cette situation capitale : la rencontre des deux frères. Cette rencontre n’est pas arbitraire, comme le choc de deux pantins dressés l’un contre l’autre à l’improviste par un décret de l’auteur. Elle est préparée par une suite de faits, qui ne sont que les signes d’une suite de sentimens.