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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/557

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éclatante d’inertie, on nous a accusés ouvertement de rêver une politique d’action et de provocation. Quoi de plus simple? quoi de plus conforme à la fable, éternellement vraie, du Loup et l’Agneau, et au proverbe, éternellement germanique, « du lapin qui a commencé? » Forts par notre union avec l’Angleterre et notre résolution de défendre nos droits, nous n’étions un danger pour personne; faibles par notre isolement, par notre résignation à supporter sans bouger les coups de la fortune, nous effrayons tous nos voisins, nous les obligeons à s’unir pour nous résister en cas de besoin !

Néanmoins le rôle du loup de la fable demande, en politique, quelque prétexte plus sérieux qu’un peu d’eau troublée au bord d’un ruisseau. Ce prétexte, qui manquait à la triple alliance, pour colorer ses projets d’une apparence légitime, nous le lui avons immédiatement fourni. Elle éprouvait quelque difficulté à faire comprendre au monde qu’il fût indispensable de prendre des précautions contre un gouvernement assez dépourvu de courage pour craindre, lorsqu’il s’agissait de défendre ses plus chers intérêts, d’envoyer quelques soldats à l’assaut des redoutes vides de Tel-el-Kébir. Les plus hardis ressentaient quelque honte à tenter l’entreprise. Mais, comme si nous nous étions aperçus de leur embarras, nous nous sommes empressés de déclarer que le gouvernement de la république, ce gouvernement débonnaire qui prenait Arabi pour un épouvantail, était en péril; qu’il était sourdement attaqué par des intrigues prétoriennes; que des conspirations fomentées dans l’armée risquaient de le renverser; qu’à moins de créer des catégories de suspects, il n’était plus sûr du lendemain. Aussitôt nos adversaires se sont emparés de ce qu’ils ont voulu regarder comme un aveu. La république est pacifique, ont-ils dit, mais la monarchie ne le serait pas. Unissons-nous donc en vue du maintien de la république en France. La précaution est devenue nécessaire, puisque les Français eux-mêmes sentent le besoin de s’armer d’arbitraire et de faire fléchir les lois pour repousser les attaques des monarchistes. Et si dérisoire que fût ce langage, on aurait tort de croire qu’il fût absolument dépourvu de vérité. On me permettra de dire quelle surprise j’ai éprouvée, il y a quelques mois, en passant à Vienne, de trouver répandu dans tous les mondes politiques la conviction que la république avait été à deux doigts de sa perte à la mort de M. Gambetta et qu’elle n’avait dû son salut qu’à la clairvoyante énergie de M. Floquet. Depuis les ministres et les hommes d’état du parti gouvernemental jusqu’aux journalistes de l’opposition allemande, tous me répétaient : « Il est incontestable que la république a failli périr en janvier dernier; il y a eu un moment très critique; qui peut répondre de l’avenir? » Voilà comment nos intrigues parlementaires, grossies, travesties, incomprises,