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Dans ces dernières années, cette loi constante de notre histoire ne s’est point démentie. Il est permis de croire que la fondation en France d’une république qui a été longtemps sage et heureuse, qui a augmenté d’abord la prospérité publique et accru la richesse nationale, n’a pas été sans influence sur nos voisins les plus immédiats. Les progrès du parti libéral en Angleterre ont coïncidé d’une manière trop directe avec le succès des républicains en France pour qu’on puisse attribuer au hasard seul une pareille concordance. Lorsque ce parti est arrivé au pouvoir avec le contingent de radicaux dont l’action sur sa politique a été tout de suite si grande, l’exemple de notre pays séduisait beaucoup d’esprits de l’autre côté de la Manche. On sait que les radicaux anglais ne ressemblent guère aux nôtres, et que leur programme le plus avancé ne va pas au-delà de l’égalité de droits établie depuis longtemps chez nous. Ils combattent les avantages politiques attachés à la propriété; ils demandent la destruction des privilèges et la réforme du suffrage, ils ne vont pas plus loin. Leurs idées sur la politique extérieure se rapprochent de celles que nous professons. En renversant le ministère Beaconsfield, qui se préparait à s’allier avec l’Allemagne et l’Autriche pour écraser la Russie dans les Balkans, ils ont éloigné de plusieurs années la crise qui semble sur le point d’éclater aujourd’hui. Dédaignant l’égoïsme étroit des traditions nationales de l’Angleterre, ils s’opposent aux projets de conquête indéfinis, si en faveur auprès de la classe dirigeante anglaise. C’est en France qu’ils puisaient des argumens pour défendre leur cause. Ils soutenaient qu’un grand état pouvait vivre avec une égalité politique absolue, sans tomber pour cela dans l’anarchie, sans laisser dépérir aucun de ses intérêts, puisque la France, où cette égalité existait, était calme et plus prospère que jamais. Il est à craindre que cette comparaison ne commence à leur manquer. Déjà, elle fait défaut aux progressistes allemands, qui, eux, aussi, aimaient à s’appuyer sur notre exemple. Un vent de réaction souffle en ce moment sur l’Allemagne, et M. de Bismarck, en le déchaînant, a eu soin, pour justifier sa conduite auprès du parlement, de montrer ce que la liberté avait fait de nous.

On n’a peut-être pas oublié le discours dans lequel, exposant sa théorie sur le pouvoir impérial, qui doit, d’après lui, dominer, et au besoin étouffer le pouvoir parlementaire en Allemagne, il affirmait que tous nos malheurs venaient de l’abandon de la vieille monarchie. Pour combattre non-seulement les progressistes, mais encore ses anciens amis, les nationaux-libéraux, dont il s’est hautement séparé, il ne trouvait rien de mieux que de faite un tableau lamentable de notre situation intérieure et extérieure, puis de dire à ses compatriotes : « Voudriez-vous être ainsi ? » Un pareil langage