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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/580

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Aussi le condominium anglo-français était-il jugé avec sévérité de l’autre côté de la Manche. L’égoïsme des partis était sur ce point unanime. Tons reconnaissaient que le condominium avait lié les mains à l’Angleterre en Égypte, et par l’Égypte sur les mers. Mais, d’autre part, il présentait tant d’avantages matériels et politiques qu’il fallait bien s’y résigner. On ne pouvait en sortir sans commettre un acte d’éclatante mauvaise foi, sans risquer une brouille avec la France; on n’osait pas. On craignait cette perturbation générale qu’un conflit entre la France et l’Angleterre amènerait fatalement, comme je viens de l’expliquer. Ce que je dis là est l’exacte vérité. On en conclura peut-être que l’amitié entre les deux pays n’était pas bien sincère, puisqu’elle pesait tant à l’un d’eux. Ce serait aller trop loin. Mais il faut reconnaître que, dans une union franco-anglaise intime, c’est l’Angleterre qui fait les plus gros sacrifices, par l’excellente raison que c’est elle qui a le plus grand commerce et le plus grand empire colonial, et que, par conséquent, c’est elle qui a surtout besoin de liberté dans la poursuite de ses ambitions. En revanche, et c’est ce qui la décide à faire ces sacrifices, c’est elle qui aurait le plus de risques à courir dans une rupture allant jusqu’à la guerre. La France, puissance continentale avant tout, pourrait voir le feu gagner toutes ses colonies sans perdre sa place en Europe; que resterait-il à l’Angleterre si l’incendie envahissait son empire colonial? Elle est vulnérable sur toutes les mers, car il n’y en a pas une seule où son corps immense n’étende un de ses membres. Les Anglais étaient donc impuissans à dénoncer le condominium. Beaucoup d’entre eux reprochaient avec amertume à M. Disraeli de leur avoir mis ce boulet au pied, mais ils convenaient qu’il n’y avait pas moyen de l’en détacher. Nous nous sommes chargés de le faire pour eux, et de les rassurer en même temps sur les conséquences de l’opération. En refusant d’aller combattre Arabi, nous avons délié l’Angleterre de ses engagemens, et manifesté une telle faiblesse qu’elle n’avait plus rien à redouter de nous. Elle croyait qu’il faudrait des bouleversemens européens pour lui rendre son indépendance: il a suffi de la rivalité de M. de Freycinet et de M. Gambetta.

Et à peine le condominium était-il détruit, à peine l’Angleterre s’était-elle rendue maîtresse de l’Égypte, que l’accord franco-anglais, comme on devait s’y attendre, disparaissait. Nous avions tout fait, quant à nous, pour indisposer les Anglais. Au lieu d’affermir notre amitié avec eux par un nouveau traité de commerce, nous avions, avant la rupture égyptienne, rompu toute négociation commerciale. Quand ils sont arrivés au Caire, il n’y avait plus rien qui les rattachât à nous. Aussi nous ont-ils traités sans le moindre ménagement. Notre défaillance militaire leur avait fait