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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/588

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allemand, sans lequel elle serait incapable de l’emporter sur la Russie.

Je ne veux pas examiner quelle a été la politique française au milieu de ces graves conjonctures qui ont modifié si profondément, à notre désavantage, l’état de l’Europe. Il me suffira de dire qu’elle a été aussi imprudente, aussi maladroite, aussi dépourvue de prévoyance et de bon sens qu’elle devait l’être encore l’année dernière dans les affaires égyptiennes. Pour quiconque avait le sentiment des périls de l’avenir, il était manifeste que la France devait mettre tout en œuvre afin d’empêcher, ou du moins d’ajourner une guerre dont les conséquences ne pouvaient pas nous être moins pernicieuses que celle de la guerre austro-prussienne de 1866. L’entreprise était difficile, mais le succès n’était point invraisemblable. Il fallait montrer à la Russie la folie qu’elle était sur le point de commettre; il fallait la supplier de ne pas ajouter de nouveaux élémens de trouble à l’état si bouleversé de l’Europe, mois d’y garder la situation grande, bienfaisante, incomparable que le destin venait de lui donner, et que son entreprise en Orient lui ferait perdre peut-être sans retour. Il fallait ensuite se tourner vers l’Autriche, où tous les souvenirs de Sadowa n’étaient pas éteints, et entretenir les rancunes, les méfiances trop naturelles qui existaient encore entre elle et l’Allemagne. Nous aurions trouvé pour cette double tentative, le concours le plus empressé de la part de l’Angleterre, qui ne cessait de nous presser de nous joindre à elle, dans une campagne le Crimée diplomatique. Dès ce moment, nous pouvions cimenter de la manière la plus solide l’alliance anglaise, et peut-être nous réserver pour l’avenir, suivant les circonstances, soit l’alliance autrichienne, soit l’alliance russe. Mais hélas ! déjà la diplomatie française allait à la dérive, conduite par des mains les plus inexpérimentées. On sait ce qui est arrivé : la guerre, le traité de San-Stéfano, le congrès de Berlin, l’occupation de Chypre par les Anglais et la modification profonde de l’équilibre de l’Europe!

La Russie n’a pas tardé à s’apercevoir de la faute qu’elle avait commise; Privée des avantages de sa victoire, ne recevant pour prix de tant de sang versé, de tant de sacrifices accomplis, que de médiocres profits, voyant l’Autriche, qui n’avait pas tiré un seul. coup de feu contre les Turcs, s’avancer en Herzégovine et en Bosnie, s’emparer de la direction, morale de la Serbie, descendre le long du Danube et prendre la route de Constantinople, la lumière s’est faite subitement à ses yeux : elle a reconnu que l’unique résultat de la guerre était de placer entre Sainte-Sophie et, elle l’épée des Habsbourg, Elle avait renoncé à son prestige en Occident, montré toute la faiblesse de son organisation militaire, déchaîné chez, elle la révolution et le nihilisme; pourquoi? Pour donner à l’Autriche