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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/620

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tout y aboutisse par une pente naturelle, « depuis Homère jusqu’à Mme de Chazet ! » Aussi sera-t-il, par la force des choses, « un ouvrage imparfait : c’est un de ses caractères distinctifs. Ce vaste registre, qui ne sera clos qu’au jugement dernier, porte donc en soi un germe d’immortalité absolument indépendant de son mérite. » S’il accorde à l’aristarque d’être « un grand épurateur d’idées, » il ajoute qu’il « imprime aux plus vulgaires une autorité supérieure. » Et puis, que de redites dans ce cours intarissable, qui « sert au public le même mets à différentes sauces! » Quelle prolixité dans ces « leçons qui entrent par une oreille, et sortent par l’autre! » A quoi bon reprendre les choses ab ovo, « déployer une si grosse artillerie contre des portes ouvertes, et faire jouer tant de batteries contre des bicoques vermoulues qui tombent en ruines? » N’est-ce pas abuser de notre patience que de consacrer un volume à démontrer, « contre je ne sais quel fou, que Boileau n’était pas un scélérat? » Pourquoi donner tant de place à des auteurs qui en tiennent si peu dans la mémoire des hommes ? Ce procédé ressemble à celui de l’histoire naturelle, « où le plus petit insecte a le même droit à l’attention que le lion et l’éléphant. » L’homme n’est pas plus épargné que l’écrivain : « Oui, nous dit-il, M. de La Harpe se passionne souvent pour la raison, mais hors de toute raison : ses mouvemens ont alors quelque chose qui ressemble à la frénésie; sa vue se trouble, et la chaleur du sentiment éteint chez lui toute lumière. » Dussault est-il forcé de rendre hommage à « la justesse de son goût, » il se hâte de railler les défauts d’un caractère « qui ne connaît ni convenance, ni règle. » Ne pouvant nier la vertu agonistique du polémiste, il se rabat sur ce qu’il y a de ridicule dans ses colères d’artiste, ou plutôt dans « les procédés d’un avocat dont les yeux étincelans, les cris perçans et la parole emphatique » n’en imposent qu’aux naïfs. Aussi ne voit-il en lui qu’un professeur de déclamation, qui « ménage son esprit aux dépens de ses poumons. » Si ses leçons font salle comble, l’honneur en revient au débit de l’acteur, à l’attrait qu’excite toujours la vue d’un homme célèbre, et à la curiosité des badauds, « qui croient participer à la renommée de M. de La Harpe en s’approchant de sa personne. » Bien qu’il y ait du vrai dans ces méchancetés qui jouent l’innocence, elles nous laissent une impression peu sympathique à la personne de l’écrivain. Son persiflage grimace, et rappelle ces gens qui, toutes les fois qu’ils s’avisent de rire, montrent de vilaines dents.

Il fit meilleur accueil à Chateaubriand, parce qu’il appartenait au camp des conservateurs; mais, tout en désirant être gracieux, il ne fut qu’insignifiant. Lorsque Atala parut, il n’osa se risquer, et n’eut aucun courage. Qu’il s’agisse de la pensée religieuse, ou de la poétique,