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avec le Soudan, qu’il y avait un intérêt incontestable pour le commerce européen à pénétrer au cœur de l’Afrique, mais que le chemin de fer projeté serait une dépense très considérable et fort prématurée, que, plus tard peut-être, il conviendrait de le faire, que, pour le moment, nous devons avoir des prétentions plus modestes, moins coûteuses et nous en tenir à une route de caravanes, à un simple chemin vicinal.

En répondant à M. de Saint-Vallier, le directeur des colonies, a réservé la question de savoir si la voie ferrée serait prolongée de Bafoulabé jusqu’au Niger. Mais il a établi que le tronçon pour lequel on réclamait un crédit était d’une urgente nécessité. Dans la saison sèche, le Sénégal, qui cesse d’être navigable jusqu’à Kayes pour les avisos et les remorqueurs l’est encore pour les chalands dont le tirant d’eau ne dépasse pas 0m, 50. Plus loin, et en toute saison, il est absolument impraticable. Entre Kayes et Bafoulabé, il forme des biefs successifs, séparés par des rapides et par les deux cataractes de Felou et de Gouina. Sur toute cette partie de son parcours, la construction d’une route eût coûté fort cher, et le chemin de fer, quoique plus coûteux encore, la remplacera avec avantage. Mais de Bafoulabé à Kita, sur une longueur de 320 kilomètres, il y en a 233 où il est facile d’établir une route, dont les deux sections seraient mises en communication par le Backoy, sur lequel a été organisé un service de pirogues. Au surplus, ce chemin vicinal, dont M. de Saint-Vallier et le bon sens nous engagent à nous contenter jusqu’à nouvel ordre, a déjà été ouvert sur plus d’un point par les officiers d’artillerie de marine laissés en résidence dans les postes pendant l’hivernage, et les caravanes commencent à connaître très bien ce chemin qui les attire et qu’elles appellent notre voie militaire.

Il est bien difficile à un gouvernement qui veut obtenir des crédits d’une assemblée de lui dire toute la vérité; s’il lui disait tout, elle ne voterait jamais rien. Les entreprises lointaines sont toujours malaisées, longues, dispendieuses, et d’ordinaire, les assemblées n’ont de goût que pour les choses faciles et courtes, pour les rentrées à très brève échéance, pour le bonheur et pour la gloire qui ne coûtent rien. Si le gouvernement avait eu la liberté de tout dire et de s’expliquer en toute franchise, il aurait confessé au parlement que cette voie commerciale qu’on se proposait d’ouvrir entre le Haut-Sénégal et le Niger n’était pas appelée à être mise dès aujourd’hui au service d’un commerce. déjà subsistant, qu’elle était destinée à le créer, que l’occupation militaire, la construction de forts, l’établissement de notre protectorat étaient des préliminaires indispensables, que nous ne saurions en venir à bout sans nous imposer des sacrifices, mais que si nous refusions d’aller au Niger, les Anglais le prendraient et le garderaient pour eux, et que notre colonie du Sénégal ne serait plus qu’un comptoir sans avenir.