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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/692

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l’héroïque dévoûment de ses lieutenans, la discipline et la vaillance de la petite troupe qu’il avait sous ses ordres. Dans la campagne 1880-1881 où était allé de Médine à Bafoulabé et de Bafoulabé à Kita, où un fort en maçonnerie, entouré d’un camp retranché, fut construit par les soins d’un officier fort distingué, M. le capitaine Archinard, qui commandait la compagnie auxiliaire d’ouvriers d’artillerie. Rien n’a pu ralentir son zèle, et on l’a vu demeurer intrépidement sur les chantiers, malgré les lassitudes et les accès de fièvre, suite inévitable d’un séjour prolongé au soleil du Soudan. Au commencement de la seconde campagne, la fièvre jaune ayant sévi à Saint-Louis et désorganisé tous les services, il fut décidé que la colonne expéditionnaire du haut fleuve ne dépasserait pas Kita, qu’on se contenterait de ravitailler les garnisons, de poursuivre les ouvrages commencés. Mais pour tenir son monde en haleine et ses ennemis en respect, le colonel Borgnis-Desbordes fit une pointe hardie dans le Manding, traversa le grand fleuve, poussa jusqu’à Keniera, y infligea un humiliant échec aux bandes aguerries et menaçantes d’un conquérant musulman. L’année suivante, on résolut d’aller s’installer sur le Niger. On avait des raisons pour ne pas se presser, il y en avait de meilleures pour se hâter. Il fallait gagner de vitesse deux souverains indigènes qui avaient deviné les desseins du colonel et se disposaient à lui enlever sa proie. Après avoir réglé des affaires fort désagréables avec les Bambaras du Bélédougou, la colonne entrait à Bamako, le 1er février 1883, et six jours plus tard, on posait la première pierre du fort. Dans le discours qu’il prononça à cette occasion, le colonel rappelait à ses officiers toutes les sinistres prophéties qu’on leur avait prodiguées. On les avait mis au défi d’aller jusqu’à Bakel. D’autres, plus généreux, leur permettaient de pousser jusqu’à Kita, mais qu’ils atteignissent jamais le Niger, personne, à Saint-Louis, ne le croyait. C’était un de ces chimériques projets qui font sourire les gens sensés, un vrai conte à dormir debout. Le colonel ajoutait : « Messieurs, en prenant le commandement du Haut-Sénégal au mois de novembre, je vous ai dit que nous n’étions pas dans le Soudan pour parler, mais pour agir, que nous devions aller au Niger, que nous irions, et nous y sommes. »

On venait d’accomplir un voyage aussi périlleux que malaisé. Les pessimistes de Saint-Louis avaient eu beau jeu en prédisant des malheurs à une petite troupe condamnée à fournir de longues marches et à faire plus d’une mauvaise rencontre. On devait se tenir toujours prêt à intimider les malveillans par des actes de vigueur, et on employait ses loisirs à élever des courtines et des bastions, on se faisait maçon ou charpentier. Encore fallait-il se presser et profiter de la saison sèche, à laquelle succèdent des pluies torrentielles qui rendent tout impossible. On laisse dans les forts de petites garnisons, et, quelques mois plus tard, on est heureux, à son retour, de trouver la garnison