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fables de La Fontaine six Contes galans de la dernière médiocrité. Trois ou quatre personnes se trouvent aussitôt pour nous apprendre que ces Fables, imprimées depuis deux cent douze ou treize ans, sont, en réalité, de l’illustre Mme de Villedieu. Quoi donc! les œuvres de Mme de Villedieu, Manlius et Nitétis, les Aventures grenadines et les Mémoires du sérail nous seraient plus connues que les œuvres mêmes de Bossuet? Vous n’y êtes pas. Mais tandis que, pour connaître les œuvres de Bossuet, il faut sinon les avoir lues, du moins les avoir parcourues, il y a vingt moyens, à l’usage des érudits, et, sans les avoir jamais lues, pour savoir quelles sont les œuvres de Mme de Villedieu. Quand M. Ménard voudra désormais publier des vers in dits, je l’engage tout d’abord à consulter au moins la Bibliothèque française du consciencieux abbé Goujet.

Ce que je sais bien, pour ma part, c’est que je ne retourne presque pas une fois aux imprimés du vieux temps sans y retrouver, par hasard, tout à fait par hasard, quelques-uns de ces inédits autour desquels nous voyons mener si grand fracas. Il y a quelque temps, c’était, par exemple, une grossièreté de Diderot, dont M. Eugène Asse, dans une livraison du Cabinet historique, nous avait fait les honneurs comme d’une découverte, que je retrouvais étalée tout au long, par le beau milieu d’un article de l’Encyclopédie. M. Ménard n’avait assez lu ni Bossuet, ni la Bibliothèque française; M. Eugène Asse n’avait assez lu ni l’Encyclopédie, ni même la dernière édition des œuvres de Diderot. Plus récemment encore, feuilletant innocemment l’Histoire littéraire des femmes françaises, de l’abbé de La Porte, c’était une lettre à Rousseau, signée de la marquise de Saint-Chamond, dont j’aurais bien juré que M. Streckeisen-Moultou, dans son Jean-Jacques Rousseau, ses amis et ses ennemis, avait été le premier éditeur. J’aurais eu tort. M. Eugène Asse n’avait pas assez lu Diderot, ni l’Encyclopédie; je n’avais pas assez lu l’Histoire des femmes françaises, ni même l’Année littéraire, car c’est là que l’abbé de La Porte avait pris cette lettre. Autre tâche que je prendrai la liberté de recommander à nos érudits. Quand, en fait d’inventaires, ils auront dressé celui de tout ce qui s’est imprimé, quand ils auront exactement analysé tout ce qui s’est publié, quand ils en auront surtout comme extrait la substance, alors, et alors seulement, qu’ils publient leurs documens inédits. Et j’ose dire, ou même prédire, ce dépouillement une fois achevé, que l’on sera étonné comme il y a peu d’inédits qu’il soit vraiment utile de mettre au jour, comme ils nous ont, après tout, rendu peu de services, et comme ils nous ont finalement appris peu de choses!

Soyons de bon compte. Où sont donc, depuis tantôt quatre-vingts ou cent ans, les rares services que les publicateurs d’inédits aient rendus aux lettres françaises? Tout le monde en parle et les vante; peu de gens pourraient les nommer. Mettant à part, en effet, tout ce qui