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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/711

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de l’esprit qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l’objet admiré a de nouvelles perfections. » Ainsi, chaque siècle qui passe sur un chef-d’œuvre, sans en avoir altéré l’air d’éternelle jeunesse, donne au siècle qui suit cent raisons nouvelles d’y reconnaître de nouvelles beautés. C’est lui, et ce n’est plus lui. Ce n’est plus lui, car il s’est comme enrichi de tout ce que ses admirateurs y ont trouvé que n’avaient pas vu ses contemporains ; mais c’est bien lui, pourtant, puisque l’on n’y a rien mis que ce qu’une expérience plus longue et plus diverse a prouvé qu’il contenait en effet. — On ne voit pas bien ce qu’ont à faire, en tout cela, les documens inédits.

Ce que nous disons là, quelque lecteur s’avisera peut-être que nous l’avons dit déjà plus d’une fois. En effet ; — si ce n’étaient pas les mêmes mots, c’étaient bien, en somme, les mêmes choses. J’espère au moins que l’on ne s’en prendra qu’aux publicateurs d’inédits. Aussi longtemps qu’ils continuent de détourner envers une ingrate érudition des forces qui trouveraient ailleurs un plus naturel, un plus utile, un plus glorieux emploi d’elles-mêmes, aussi longtemps nous ne pouvons pas, nous non plus, discontinuer de nous en plaindre, et de travailler à faire que le public s’en plaigne avec nous. C’est donc leur faute si nous nous répétons, et pas du tout la nôtre. Et puis songez un peu, si nous devions enfin réussir à la vingtième fois, quel remords nous aurions de nous être arrêté justement à la dix-neuvième ! Il ne s’agit que de savoir si la question elle-même vaut l’obstination que nous mettons à la traiter. Nous le croyons, pour notre part et nous venons d’essayer de le montrer : quelques services que les publicateurs d’inédits aient rendus à la cause des lettres, ils leur ont fait sans doute plus de mal encore que de bien. Et c’est pourquoi, bien loin de nous excuser de redire les mêmes choses, nous ne craindrons pas, comme on parle au palais, d’aggraver notre situation en déclarant que nous ne savons pas si nous ne les redirons pas encore : « Mon Dieu, Pierrot, faisait Charlotte, tu me dis toujours la même chose ; » et Pierrot lui répondait : « Je te dis toujours la même chose, parce que c’est toujours la même chose, et si ce n’était pas toujours la même chose, je ne te dirais pas toujours la même chose ; » et Pierrot n’était point si sot, car je crois bien qu’il dut finir par persuader Charlotte.


F. BRUNETIERE.