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dit avec une vive cordialité quelques jours avant son départ, et la meilleure preuve qu’il n’avait pas la moindre idée de froisser notre pays, c’est que, dans son itinéraire, il a toujours placé une visite à la France et à Paris. Il est parti pour l’Allemagne tout simplement, l’esprit libre, et naturellement il a été reçu au-delà du Rhin comme devait l’être un jeune prince qui est le chef d’une généreuse nation, qui est de plus allié à la famille impériale d’Autriche et à la plupart des maisons souveraines. Le malheur est qu’avant de rentrer dans son pays par la France, il a trouvé sur son chemin un de ces incidens qu’on aimerait autant ne pas rencontrer et qui deviennent un embarras en voyage. M. de Bismarck, avec sa brutale ironie, a jugé plaisant de préparer à sa manière le passage du roi d’Espagne à Paris en donnant à Alphonse XII le titre honorifique de colonel d’un régiment allemand qui tient garnison à Strasbourg. Que, dans le premier moment, on se soit un peu ému en France d’un acte de mauvais goût dont le roi Alphonse n’est d’ailleurs nullement responsable, soit ; mais il suilisait d’un instant de réflexion pour comprendre que ce titre accordé à la plupart des princes de l’Europe, au prince de Galles comme aux autres, n’a aucune signification sérieuse, et qu’il ne pouvait modifier la nature de la réception réservée au roi d’Espagne en France.

On devait au prince un digne accueil, non-seulement par un sentiment de courtoisie nationale, mais parce que la république elle-même est intéressée à se montrer hospitalière aux souverains, parce que montrer de Ihumeur, c’était répondre peut-être à un secret calcul de M. de Bismarck, parce qu’enfin les rapports d’amitié, d’intérêts qui lient l’Espagne et la France restent aujourd’hui ce qu’ils étaient hier. C’était le sentiment public. Qu’est-il arrivé cependant ? Il s’est trouvé des énergumènes excités par les déclamations de quelques journaux de démagogie pour escorter de leurs vociférations le jeune roi à son entrée à Paris. L’incident est profondément humiliant, nous en convenons, et ce n’est pas pour le roi d’Espagne qu’il est triste, c’est pour le gouvernement qui n’a pas su préserver son hôte de l’insulte ; on ne peut excepter que M. le président du conseil et M. le ministre des affaires étrangères, qui seuls, à ce qu’il semble, ont fait leur devoir. Tout ce que nous pouvons demander aujourd’hui, c’est qu’on se souvienne partout qu’en dehors de ces indignes manifestations de carrefours, il reste une France polie, courtoise, toujours hospitalière pour tous ceux qui veulent la visiter.

CH. DE MAZADE.