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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/73

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Il est à remarquer en premier lieu qu’il n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire de séparer les deux questions. Si l’on admet qu’en principe il faut instruire les femmes, et si l’on admet qu’en fait l’instruction leur est distribuée sans règles, sans principes, sans garantie, en un mot au hasard, quel autre moyen de relever le niveau de cet enseignement que le concours et l’intervention de l’état ? Mais abordons la question en elle-même.

Nous voyons se renouveler ici le débat qui s’agite dans bien d’autres domaines, le débat entre l’état et la liberté. Rien de plus grand qu’un tel débat : il est l’honneur de notre siècle ; il est le problème moderne tout entier ; c’est à lui que se réduit le problème social, le problème religieux, le problème économique. Nous comprenons donc très bien que l’on dise, en principe, que l’état n’a pas mission d’enseigner, qu’il n’a pas à remplir un rôle intellectuel et moral, que tout ce qui est du domaine de la pensée et de la conscience ne relève que de l’individu, qu’il ne faut pas une philosophie d’état, une économie politique d’état, une morale ou une histoire d’état, et enfin une littérature d’état. On sait que, dans cette école restrictive des droits de l’état, dont Bastiat a été parmi nous la plus complète expression, le baccalauréat lui-même était suspect de communisme[1]. Fort bien ! mais, dans un tel système, si on veut être logique, il faut demander encore la suppression des hôpitaux et de l’assistance publique, la suppression de tout encouragement aux beaux-arts ; il faut enfin réduire l’état à un rôle purement matériel, à n’être plus, comme on l’a dit, que l’entrepreneur de la « sûreté publique. » Là même l’esprit de défiance envers l’état a été poussé encore plus loin : on s’est demandé si les tribunaux ne pourraient pas être remplacés par des arbitrages, si le jury civil ne pouvait pas fonctionner comme le jury criminel. On sait enfin que le dernier mot de ce système a été dit par Proudhon, qui l’a appelé de son vrai nom, l’anarchie. Nous n’avons pas à discuter toutes ces théories ; nous ne les signalons que pour montrer qu’il y autant de danger d’excès d’un côté que de l’autre, dans l’individualisme que dans le socialisme. Ce qui est certain, sans que nous ayons besoin d’entrer dans une discussion théorique, c’est que, jusqu’ici, dans aucun pays du monde, l’état ne s’est désintéressé de l’enseignement ; au contraire, le rôle de l’état dans l’éducation publique a toujours été grandissant, même chez les nations les plus libres. Ni en Amérique, ni en Suisse, ni en Hollande, l’état n’a abandonné entièrement l’enseignement à l’initiative privée. En Angleterre même, l’état intervient de plus en plus, au moins dans

  1. Voir la brochure : Baccalauréat et Communisme.