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avons indiquées ici même[1], à marquer leur déférence ou leur attachement à la religion et à l’église. Il restera à la papauté une clientèle trop opulente et trop nombreuse pour que le saint-siège soit exposé à tomber dans le dénûment ou à y rester[2].

Quelques embarras passagers qu’il puisse éprouver, le Vatican paraît donc assez sûr de son indépendance matérielle pour n’être pas obligé de venir à composition avec le gouvernement italien et se résigner à en être le salarié. Si les catholiques semblent en droit de se plaindre des procédés suivis à Rome avec le saint-siège, de la spoliation légale du vicaire du Christ et du clergé romain, ils auraient mauvaise grâce à s’en montrer trop inquiets, car il dépend d’eux d’y remédier en rendant à la papauté d’une autre manière les moyens d’existence dont elle a été privée en 1870. Il en est tout autrement de l’indépendance spirituelle du pontificat et de la liberté de son ministère. À cet égard, la foi et le dévoûment privés ne sauraient suffire, c’est là surtout l’œuvre des lois et des gouvernemens. De quelle façon la monarchie italienne a-t-elle prétendu trancher ce nœud essentiel de la question ?

Sur ce point capital, l’Italie s’est montrée plus large ou plus généreuse, elle a été à la fois plus équitable et plus politique. Tel est du moins notre sentiment, et pour peu qu’on veuille être impartial, il nous semble difficile de ne pas le partager. En médiatisant le pape, les Italiens ont proclamé sa personne sacrée et inviolable. En lui enlevant sa capitale et les derniers restes de sa royauté territoriale, ils n’ont pas voulu le dépouiller de son caractère de souverain. La loi du 13 juin 1871 lui en a formellement reconnu le titre ; pour l’Italie, le pape est resté souverain en cessant d’être prince. C’est là, peut-on dire, une sorte de souveraineté in partibus, de souveraineté honorifique, dont la reconnaissance ne coûtait rien à l’Italie et n’enlevait rien à son pouvoir réel, qui n’a été imaginée que pour déguiser aux yeux du monde la sujétion à laquelle on réduisait la papauté et calmer les pieuses angoisses des catholiques. Quand cela serait prouvé, il n’en est pas moins

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1882.
  2. La papauté, si elle l’eût voulu, eût déjà pu trouver, à côté des contributions volontaires des fidèles, des ressources d’un tout autre genre. Les subsides que lui ont votés les chambres italiennes ne sont pas les seuls que la curie romaine ait eu à repousser. On a vu, dans ces dernières années, des financiers et des maisons de banque, désireux de s’assurer la clientèle catholique, chercher à se concilier l’appui apparent du saint-siège et à nouer des relations au Vatican pour s’en faire une réclame près de naïfs capitalistes. Léon XIII et son entourage ne se sont prêtés à aucune manœuvre de ce genre. Ils n’ont pas voulu laisser « mettre la croix sur une caisse » ni laisser faire de la tiare une enseigne. Je pourrais citer tel financier auquel, durant un de mes séjours à Rome, Léon XIII a refusé une audience, en dépit des magnifiques offrandes que le banquier en question voulait déposer aux pieds du saint-père.