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Les défenseurs de la politique italienne peuvent représenter qu’il est malaisé à un gouvernement de protéger contre les injures et les outrages une autorité ouvertement en guerre avec lui. La tolérance des offenses faites au pape n’a malheureusement pas été la seule infraction des maîtres temporels de Rome à la loi édictée par eux en 1871. Dans une occasion solennelle, en juillet 1881, lors de la translation des cendres de Pie IX de la tombe temporaire de Saint-Pierre à la confession de Saint-Laurent hors les murs, le cabinet italien, par timidité ou par finesse, n’a pas su se placer franchement sur le seul terrain solide pour lui : la loi des garanties. La loi accordant au pape les honneurs royaux, de pareils honneurs eussent dû être rendus publiquement et au grand jour à la dépouille de Pie IX. Un semblable hommage de la part des envahisseurs des états ecclésiastiques n’eût pas été, il est vrai, du goût des partisans de la souveraineté pontificale. Ils n’avaient aucun désir de voir les troupes du fils de Victor-Emmanuel saluer le dernier pape roi dans son lent voyage au portique désert de l’antique basilique. C’est sous l’empire de ce sentiment que le Vatican demanda que la translation du corps de Pie IX eût lieu de nuit, dans l’obscurité, en secret, comme pour éviter toute manifestation de part et d’autre. En acceptant ce projet de funérailles clandestines, les autorités italiennes croyaient éviter les colères des radicaux sans froisser les sentimens des catholiques. On sait comment fut déçu ce calcul mesquin. Le secret convenu entre la police et le Vatican ne fut naturellement pas gardé ; amis et ennemis se trouvèrent sur pied pour ces funérailles nocturnes. Comme à la sombre époque des guelfes et des gibelins, l’enterrement du pape menaça de donner lieu à un sanglant conflit ; les rues de Rome furent sur le point de devenir le champ de bataille de deux factions rivales. Le cercueil de Pie IX traversa toute la ville entre les pieuses acclamations des fidèles agenouillés, un cierge à la main, et les indécens outrages de bandes de forcenés accourus pour insulter un pape. Il fallut la tardive intervention de la police pour empêcher la profanation des restes de Pie IX dans son ancienne capitale. Quel a été le seul résultat des tristes scènes de cette nuit du 13 juillet, en partie renouvelées le 7 août 1881 ? De faire accuser le gouvernement italien d’être incapable d’assurer dans Rome la sécurité du souverain pontife, de faire plus que jamais déclarer que les garanties ne garantissent rien, de confirmer enfin les catholiques étrangers dans la pensée que Léon XIII ne saurait sortir du Vatican sans s’exposer non-seulement à des injures, mais à des violences contre sa personne[1].

  1. Voyez, par exemple, la brochure il Papa e l’Italia, brochure qui passe pour avoir été directement inspirée par le Vatican.