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ami le docteur Black : « De toutes les choses de cette vie il n’y en a pas de plus folle que de faire des inventions! » On pourrait sans crainte graver ces tristes paroles au pied de la statue du grand inventeur : dans le rayonnement d’une telle gloire, elles ne décourageaient que les envieux.


I.

Quelque nom que l’on donne à cette folie, dont Watt, qui s’en plaignait, n’eût pas voulu guérir, nul n’en est aujourd’hui plus complètement atteint que M. Marcel Deprez; nul n’est moins accessible au découragement, moins ébranlé par les déceptions, et, pour faire triompher ses idées, mieux résigné à tous les sacrifices. Il réunit, par un rare privilège, à une imagination pleine de ressources, un jugement droit et sévère. Quoiqu’il préfère le bon sens à l’étude, aucune partie de la science n’est pour lui d’une méditation trop profonde. Dans le cercle très étendu des théories qu’il discute et qu’il applique, il n’a jamais, à ma connaissance, été repris d’insuffisance ou d’erreur.

C’est à un ingénieur éminent, à un membre regretté de l’Académie des sciences, Charles Combes, que la science doit sans doute M. Marcel Deprez. Combes était bienveillant et accessible à tous ; son expérience attrait les inventeurs; et sa franchise, au risque de les froisser, leur épargnait plus d’une illusion. Un très jeune homme, un jour, lui demanda audience. Il était élève de l’École des mines; Combes, comme directeur, avait ses notes sous les yeux; elles promettaient peu et, s’il faut tout dire, on y invitait l’élève Marcel Deprez à abandonner des études commencées sans ardeur et poursuivies sans régularité. Le jeune écolier alléguait une excuse : accoutumé à suivre ses idées, lorsque le commencement d’une leçon faisait apparaître un problème, il cessait d’écouter et voulait le résoudre. Forgeant son âme au lieu de la meubler, comme le conseillait Montaigne, il avait peu appris ; mais les principes, médités sans cesse, l’avaient conduit par des voies simples à des vues réellement nouvelles. Le maître respecté des maîtres qui le repoussaient l’écouta avec plaisir, avec profit même, il se plaisait plus tard à le dire. Combes s’informa de sa position, il était pauvre; de son ambition, elle se bornait à satisfaire librement, sans programmes impérieux, les curiosités de son esprit. Cet auditeur inattentif des plus savantes leçons sentait le charme de la science; ce disciple rebelle aux exercices de l’école aimait le travail et l’étude ; cet écolier sans émulation avait le feu sacré et le génie de l’invention. Combes