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comme dans la Marche funèbre, de recueillement et de vraie croyance, — la musique de Chopin, par sa distinction, son élégance, sa sveltesse et sa prismatique diversité, ressemble aux filles de la Vistule ; elles ont avec lui cela de commun d’exceller dans la danse et dans la prière, et de pouvoir parler, chanter et danser dans toutes les langues sans que jamais l’accent national en souffre aucune altération.

Le livre publié par Liszt dès 1850, c’est-à-dire beaucoup trop tôt, car l’heure n’avait point encore sonné pour Chopin d’être apprécié à sa valeur, contient sur les femmes polonaises, « moitié almées et moitié Parisiennes, » des observations qui, lorsqu’on les dégage du style volontairement amphigourique dont elles s’enveloppent, vous font presque penser à Balzac : « Leurs poses inconscientes distillent un fluide magnétique, elles séduisent par cette souplesse des tailles qui ne connaissent pas la gêne et que l’étiquette ne parvient jamais à guinder, par ces inflexions de voix qui brisent, par ces impulsions soudaines qui rappellent la spontanéité des gazelles. Elles sont superstitieuses, friandes, enfantines, faciles à amuser, faciles à intéresser comme les belles et ignorantes Orientales qui adorent le prophète arabe, en même temps instruites, intelligentes, pressentant avec rapidité tout ce qui ne se laisse pas voir, saisissant d’un coup d’œil tout ce qui se laisse deviner, habiles à se servir de ce qu’elles savent, plus habiles encore à se taire longtemps et même toujours, étrangement versées dans la divination des caractères qu’on veut leur dérober, qu’un mot éclaire à leurs yeux, qu’une heure met à leur merci. » Et, autre part : « Généreuses, intrépides, enthousiastes, d’une piété exaltée, aimant le danger et aimant l’amour, auquel elles demandent beaucoup et donnent peu : elles sont surtout éprises de renom et de gloire ; l’héroïsme leur plaît, il n’en est peut-être pas une qui craigne de payer trop cher une action éclatante. Discrètes par nature et par position, elles manient avec une incroyable dextérité la grande arme de la dissimulation, elles sondent l’âme d’autrui et retiennent leurs propres secrets si bien que nul ne suppose qu’elles ont des secrets. »

Où de pareilles femmes régnent on conçoit ce que doit être le spectacle d’un bal. C’est l’inconnue de cette poésie que Chopin a dégagée dans ses mazourkes. Conservant leur rythme national, il ennoblit la mélodie, élargit les proportions, intercale des clair-obscurs harmoniques pour rendre, — non plus en toute expression et lumière, comme dans les polonaises, mais dans la nuance, — les émotions d’ordre si divers qui agitent les cœurs pendant que durent et la danse et ces longs intervalles où le cavalier a de droit place à côté de sa danseuse, dont il ne se sépare pas. Coquetteries, vanités, fantaisies,