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il croyait pourtant qu’elles sont toujours dans la conscience, mais « sur le seuil. » Herbart, allant plus loin, fit descendre ces représentations « au-dessous du seuil de la conscience. » Schelling, Schopenhauer et son disciple M. de Hartmann accordent une importance capitale à la région de la volonté inconsciente et de l’impersonnalité. On sait toutes les vertus que M. de Hartmann attribue à « l’inconscient, » instinct profond, pensée d’autant plus infaillible qu’elle s’ignore : l’être ne fait rien plus sûrement que quand il ne sait pas ce qu’il fait. M. Wundt, sans s’égarer dans la mythologie du pessimisme, a cependant représenté les sensations mêmes comme des raisonnemens inconsciens, et il s’est efforcé de ramener la sensibilité à la logique. On se rappelle que M. Taine, dans son livre sur l’Intelligence, s’est appuyé sur Helmholtz et sur d’autres physiologistes pour décomposer les sensations en élémens qui échappent à la conscience et qui sont cependant « mentaux. » Même courant d’idées en Angleterre. Hamilton et ses partisans expliquent la plupart des faits intérieurs, et même extérieurs, par la pensée inconsciente ou par les modifications latentes de l’esprit. Les physiologiste?, principalement Laycock et Carpenter, ont donné à la théorie une forme vraiment scientifique; en même temps, ils ont désigné le phénomène sous le nom quelque peu barbare de cérébration inconsciente. M. Maudsley admet aussi que la conscience saisit simplement les résultats généraux, souvent grossiers, d’un travail accompli au-dessous d’elle par l’automatisme cérébral. « On a fait, dit-il, trop de cas de la conscience dans le passé : au lieu d’être le soleil autour duquel gravitent tous les phénomènes intérieurs, elle n’est tout au plus qu’un satellite; ou plutôt elle se borne à indiquer ce qui se passe au lieu de produire les événemens.» Pour M. Maudsley, l’inconscient n’est plus, comme dans M. de Hartmann, un principe spirituel d’un caractère mystique : il s’est réduit en un mécanisme tout matériel[1].

La conscience n’est-elle donc qu’un accident dans la nature, ou existe-t-elle au fond même des choses? Telle est peut-être la question capitale de la philosophie, sur laquelle se sont séparés et se séparent encore les idéalistes et les matérialistes. De nos jours, cette question a pris une forme plus psychologique et même physiologique : avant de spéculer sur l’essence des choses, on comprend la nécessité de faire d’abord en nous-mêmes la part de la conscience et de l’inconscience : aussi peut-on dire que le grand problème de l’existence inconsciente domine la psychologie contemporaine. « Je

  1. Telle semble aussi l’opinion de M. Ribot. M. Colsenet se rapproche davantage de Hartmann.