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sur un ou plusieurs points. D’autre part, il serait nuisible que toutes les impressions vinssent retentir dans le cerveau à un degré suffisant pour pénétrer dans la conscience : le cerveau n’a besoin d’être averti, de jouir, de souffrir, de percevoir, que quand il peut réagir par son pouvoir intellectuel et moteur de manière à écarter la cause d’un mal. A quoi servirait-il que les moindres influences nuisibles exercées sur les battemens de mon cœur fussent traduites et télégraphiées au cerveau sous forme de sensations conscientes? Je ne puis rien sur mon cœur. L’animal surtout, étranger à la médecine, ne peut rien par son cerveau pour guérir une altération plus ou moins durable du cœur. Aussi le cerveau des animaux est-il resté étranger aux mouvemens de cet organe, tandis qu’il n’est pas resté et ne pouvait rester étranger à tous les mouvemens des membres locomoteurs, à tous les dangers menaçans les organes externes des sens, les yeux, les oreilles, etc. Il en est résulté, en premier lieu, que certaines sensations possibles en elles-mêmes, par exemple les sensations électriques, ne se sont pas développées chez la plupart des animaux, auxquelles elles seraient demeurées inutiles ; elles sont, au contraire, utiles à la torpille ou au gymnote. En second lieu, parmi les sensations utiles elles-mêmes, il s’est produit une échelle moyenne d’intensité répondant à l’utilité, avec un minimum et un maximum déterminés par l’utilité même. Les animaux chez qui s’est organisée une transmission aux centres cérébraux vraiment utile en ont retiré un avantage dans la sélection naturelle. Quand, au contraire, l’avertissement donné à la conscience du moi était inutile, il est resté passager et n’a pas développé d’organes appropriés à un service superflu. C’est donc une question de voies de communication.

Si l’on considère, et avec raison, l’animal comme une société de centres vivans, dont chacun a une sensibilité plus ou moins rudimentaire comme les segmens d’un ver coupé en deux, la même loi devient encore plus claire et prend la forme d’une loi sociale, administrative ou politique. Une certaine centralisation est nécessaire dans un état, mais, au-delà des justes limites, elle devient nuisible. Si le pouvoir central est averti de tout et chargé de tout, il ne pourra tout faire. Il faut donc que certaines relations demeurent particulières entre tels individus ou entre tels groupes sans s’étendre jusqu’au gouvernement central; il faut, en revanche, que ce dernier soit averti de tout ce qui est assez grave pour menacer la vie de l’ensemble. Pareillement, dans le corps vivant, une faible action n’excite que la réaction des centres secondaires les plus voisins de la périphérie; plus forte, l’action intéresse des centres de mouvemens réflexes plus nombreux et plus profonds; si elle devient violente, destructive, le cerveau et la conscience centrale sont avertis,