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et de l’éternité, et quand on se tournait vers le soleil pour lui offrir le sacrifice à la porte d’une maison, on commençait par y ficher une branche de saule. Le sens du caractère du saule est donc : arbre solaire des portes.

En voilà certes assez (sinon trop) pour faire apprécier le génie propre des Chinois et le mode spécial suivant lequel leur intelligence déliée a compris les végétaux. Tout cela n’est point trop barbare. Il y a là des qualités d’observation indéniables, observation des caractères comme des origines. Il y a plus encore, c’est-à-dire la conception d’une classification générale. Le signe de l’herbe entre dans 1,902 combinaisons, et celui de l’arbre dans 1,358. Or, notre célèbre Tonrnefort a commencé par diviser l’ensemble du règne végétal en herbes et en arbres. D’autres signes sont spéciaux à des groupes de plantes : aux légumineuses, aux cucurbitacées, aux céréales, aux plantes textiles, aux champignons ; et le second, qui accompagne ceux-là dans les caractères composés, joue le rôle d’attribut ou de déterminatif. Le mécanisme de la langue écrite permet au lettré chinois de définir par le genre et par l’espèce : c’est le principe même de la nomenclature linnéenne, comme l’a reconnu depuis longtemps le célèbre sinologue Pauthier. Le lettré chinois mérite donc vraiment le titre de savant. Il a eu le sentiment de nos généralisations scientifiques en histoire naturelle. Mais c’est surtout dans l’application qu’il faut étudier le génie industrieux de sa race.

L’horticulture chinoise nous offre une application large et nationale des connaissances laborieusement consignées dans les encyclopédies par le pinceau des spécialistes. Comme l’a écrit un médecin français, M. le docteur E. Martin, qui est resté plusieurs années attaché à notre ambassade de Pékin, le peuple chinois est certainement le créateur de l’art des jardins. Dès une haute antiquité, ses chefs ont eu la sage précaution de faire cultiver sous leurs yeux non-seulement les végétaux agréables à la vue, mais encore ceux qui pouvaient augmenter les ressources de la population. Leurs vastes enclos ont été souvent les pépinières des provinces, et, pour exciter l’émulation de leurs sujets, ils décernaient des récompenses, dans mainte occasion officielle, à ceux qui leur présentaient des fleurs ou des fruits nouveaux. Nos sociétés d’horticulture ne font pas mieux. Les annales de la dynastie des Tsing mentionnent des mandarins chargés de veiller sur les jardins de l’empereur, et tout spécialement sur les bambous. Le goût pour les fleurs, excité par une impulsion supérieure, donna à certaines plantes une valeur commerciale étonnante. Le Sambac, dont les fleurs ont à la fois l’odeur de la rose et celle de l’oranger, comme fondues dans l’arôme du jasmin ordinaire, et servent à parfumer le thé, les liqueurs, les sirops, les confitures, a valu à Pékin, bien que ce ne