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ans. Si tous alors ne moururent pas, tous furent frappés, au moins dans la personne de quelque ami ; le sujet devait paraître pénible au spectateur : il fallait, j’imagine, ou que l’ouvrage eût sur nous la prise d’une comédie sociale aussi gravement satirique que les effrontés, ou qu’il se précipitât dans la charge et forçât par le fou rire la résistance de souvenirs fâcheux. Entre ces deux manières MM. Gondinet et Pierre Véron n’ont pas choisi; leur comédie, en ses trois premiers actes, est modérément gaie; vers la fin du troisième et dans le quatrième, elle est modérément pathétique. Le drame ne se décide que trop tard et pour émouvoir faiblement, après que d’agréables détails, en nombre infini, se sont égrenés vainement pour faire sourire. Que de mots d’une bonhomie aimable et d’un esprit ingénieux, qui sans doute eussent obtenu un meilleur sort dans un ouvrage d’un genre plus franc et d’une facture plus serrée ! Malgré toute cette dépense des auteurs et malgré le talent de MM, Adolphe Dupuis, Berton et Francès, malgré les efforts de Mlle Legault, les Affolés n’ont été que mollement applaudis.

Peut-être il fallait que la gaîté du public s’épargnât pour Ma Camarade, la nouvelle pièce de MM. Meilhac et Gille, au Palais-Royal. C’est une comédie où s’entrelace une farce, mais l’une et l’autre combien spirituelles, combien gaies et combien françaises! La «camarade » de M. de Boisthulbé, c’est Adrienne, sa femme, une charmante petite Parisienne, en qui l’amour conjugal n’est pas éveillé. Comment le serait-il? Adrien de Boisthulbé, dans sa vie de garçon, n’a pas appris à éveiller l’amour. Sa femme ne voit donc dans le mariage qu’une camaraderie; et lui, qui cependant désire davantage, se décide à faire l’école buissonnière. Il y acquiert sans doute l’art de se faire aimer, et quand il revient au logis, Adrienne, préparée fort à point par la jalousie à le bien recevoir, ne se repent pas de l’accueil qu’elle lui fait : foin de la camaraderie et vive le vrai mariage !

Telle est l’idée de la comédie, où la farce est étroitement sertie, — plus étroitement peut-être qu’il ne paraît, car les auteurs eussent pu, à peu de frais, marquer davantage les points d’attache et rendre plus sensible au public le rythme de la pièce. La farce, ce sont les péripéties de la rupture de Cotentin, cousin de Mlle de Boisthulbé, avec sa maîtresse, que Boisthulbé veut lui ravir, et de la chasse qu’Adrienne donne à son mari avec l’aide de Cotentin. Une scène du troisième acte, où l’on assiste à l’insomnie de ce vieux garçon, après que Mlle Sidonie l’a quitté, est un morceau de bouffonnerie des plus humainement comiques. Cotentin, resté seul, se couche, peste, rage, s’attendrit, se bat contre son oreiller et a honte de son trouble : « Que je suis bête, mon Dieu ! que je suis bête! s’écrie-t-il. » Puis, se reprenant : « Au fait, dit-il, qu’est-ce que ça me fait d’être bête puisque je suis seul? »