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L’ALEXANDRINISME.

de courtes épigrammes, mais tout un poème satirique, qu’il appela Ibis, et qui ne nous est pas parvenu. On sait que ce nom a été emprunté par Ovide et appliqué à une longue invective en vers élégiaques contre un ami perfide. Il dit lui-même qu’il imite Callimaque ; on pouvait donc espérer que l’ouvrage latin nous apprendrait ce qu’avait été l’ouvrage grec. Il n’en a rien été, et les efforts multipliés des interprètes modernes n’ont guère abouti qu’à montrer à quelles bizarreries la critique peut se laisser entraîner sur un sujet alexandrin. Son excuse, c’est que, d’après les témoignages de Suidas et d’Ovide, Callimaque s’était enveloppé d’une obscurité volontaire et avait déguisé sa pensée sous des formes cherchées.

Le premier de ces déguisemens est le titre même du poème, Ibis. Il est certain que ce pseudonyme désigne Apollonius ; mais pourquoi et quelle est l’intention satirique qui l’a fait choisir ? Pour que le trait portât, il fallait que le nom éveillât une idée nette, en rapport connu avec quelque particularité de celui auquel il était attribué. Or qu’y avait-il de caractéristique chez l’oiseau égyptien, suivant la croyance de l’antiquité ? Surtout un détail de mœurs fort extraordinaire, que Cicéron se charge de nous apprendre. Il nous dit que les ibis d’Égypte se soignent par des purgations : purgatione alvos curant. Et précisément ce détail est consigné dans un vers d’Ovide, qui ajoute même l’indication du moyen employé, de l’eau lancée avec le bec : corpora projecta quæ sua purgat aqua. Le commentateur ancien d’Ovide prend soin d’expliquer qu’il y a là une allusion à je ne sais quelles habitudes immondes de l’ennemi de Callimaque. Laissons-lui son explication, bien qu’elle ait trouvé des approbateurs ; il suffirait de conclure que, si le vers du poète latin contient vraiment la clé de la difficulté, Apollonius faisait sans doute un fréquent usage du procédé curatif dont Molière aimait à s’égayer. Mais on a proposé des interprétations d’une nature plus relevée. Ainsi, pour M. O. Schneider, l’éditeur apprécié de Callimaque, le vers d’Ovide renferme une allusion d’un tout autre genre. La purgation de l’ibis, transportée chez Apollonius, perd son caractère physique et n’est plus qu’une ingénieuse image : si le poète est malade, c’est de l’indigestion que lui causent toutes les expressions, tous les vers, tous les morceaux qu’il a pris aux autres ; il est gorgé de plagiats, et il se soulage en les rejetant dans son poème. On n’accusera pas M. Schneider de faire tort aux alexandrins en leur prêtant trop de simplicité.

En réalité, la seconde explication ne vaut pas mieux que la première. Elles pèchent toutes deux par la base, car le vers d’Ovide est tout simplement une périphrase qui tient lieu du mot ibis. C’est ce que M. Couat a remarqué avec beaucoup de sens. Ce n’était peut-