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régions; si ce sentiment de l’art était inné chez l’homme et comme son signe caractéristique à travers le temps et à travers l’espace. Les fouilles en Asie ou en Afrique sont encore trop peu nombreuses, les découvertes trop peu importantes pour autoriser des conclusions sérieuses. C’est donc à l’Amérique qu’il faut demander des points de comparaison. Là, des archéologues éminens, des collectionneurs passionnés étudient avec enthousiasme tout ce qui a trait au passé de leur race. Grâce à leurs savantes publications, aux photographies qu’ils distribuent avec une rare libéralité, nous pouvons suivre dans leurs migrations les antiques populations des rives de l’Atlantique et du Pacifique, connaître leurs mœurs, leurs progrès, montrer que chez eux aussi l’art a pris naissance à une époque reculée, qu’il a grandi avec les générations, comme le plus brillant apanage de l’humanité. Ce sont ces études, les faits nouveaux ainsi mis au jour que nous voudrions résumer pour nos lecteurs.


II.

Il est aujourd’hui certain que l’homme a vécu en Amérique durant les temps quaternaires, avec les mastodontes et les hoplophores, les mylodons et les glyptodons, les grands édentés et les grands pachydermes, qui n’avaient d’autres rapports avec les mammifères des anciens continens que leurs formes massives et gigantesques. Comme leurs contemporains en Europe, les premiers Américains erraient dans des forêts, sur le bord des rivières, dans des solitudes et des marécages sans limites, disputant aux animaux la proie qu’ils dévoraient, la caverne qui leur servait d’abri, les attaquant au besoin avec les seules armes qu’ils connussent : les silex qui gisaient à leurs pieds. La barbarie de ces hommes dépassait celle des troglodytes de la Vézère ou des Alpes, tout sentiment artistique leur était étranger. Rien même ne témoigne seulement chez eux de ce goût pour la parure qui se retrouve chez les races les plus sauvages.

Des siècles dont nous ne saurions supputer la durée s’écoulent. Les grands animaux quaternaires ont disparu à jamais; l’homme, de nomade est devenu sédentaire; sa longue résidence aux mêmes lieux est attestée par les amas de débris de toute sorte jetés aux abords de sa demeure, sans souci du désordre ou de la malpropreté. Les voyageurs qui visitent de nos jours les Eskimos, les derniers représentans d’une des plus anciennes races américaines, nous disent qu’autour de leurs tentes, le sol est jonché d’innombrables ossemens de morses ou de phoques, dont beaucoup gardent encore des lambeaux de chair en putréfaction et exhalent une odeur infecte. Nous