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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/179

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est l’effet d’une modification mentale composée d’une infinité de petites parties, l’état de conscience doit aussi, selon la remarque de Mill, être composé d’une infinité de petits états de conscience, produits chacun respectivement par ces infiniment petits.


Leibnitz, Kant, Hamilton, Helmholtz, Wundt et M. Taine ne se sont pas seulement appuyés sur la composition purement arithmétique des sensations et sur les lois de la divisibilité ; ils ont aussi mis en avant la composition en quelque sorte chimique des sensations, qui fait que le tout n’est pas une simple somme des parties, mais une chose douée de propriétés toutes nouvelles : telle est l’eau par rapport à l’oxygène et à l’hydrogène. Déjà Leibnitz avait entrevu cette « chimie mentale, » qui fournit aujourd’hui aux partisans de la pensée inconsciente une nouvelle série de preuves.

« Quand, disait Leibnitz, on mêle deux poudres, l’une bleue et l’autre jaune, l’esprit perçoit les deux, car, si une partie du mélange ne l’affectait pas, le tout ne l’affecterait pas non plus. Mais cette perception est confuse et demeure latente dans la sensation de la couleur verte. » Ce raisonnement n’est pas concluant, car la combinaisons des rayons bleus et des rayons jaunes peut se faire extérieurement ; elle peut se faire dans les nerfs optiques et dans le cerveau ; les vibrations nerveuses peuvent « se composer » d’une certaine manière avant d’arriver à la conscience. Il n’est pas nécessaire d’imaginer dans la conscience même la combinaison d’une perception inconsciente de bleu et d’une perception inconsciente de jaune produisant une perception consciente de vert. Tout ce qu’on peut dire, c’est que la conscience n’a point la simplicité qu’on lui attribue d’ordinaire : elle est à la fois une somme arithmétique et une combinaison analogue à celles de la chimie ; mais la question reste toujours de savoir si les élémens de cette combinaison sont des faits à la fois inconsciens et mentaux, ou si ce sont des faits de conscience que leur nombre ou leur fusion empêche de discerner à part.

Ce sont surtout les sensations de l’ouïe qu’on a mises en avant pour montrer que c’est bien dans le domaine mental qu’ont lieu les faits inconsciens. Les expériences intéressantes de Ohm et de Helmholtz sur les sous tendent à prouver, dit M. Colsenet, que, dans quelques cas au moins, « l’intensité et le timbre des sous peuvent varier pour des raisons purement psychiques et non pas seulement physiques[1]. » Si l’on chante une voyelle devant la table d’un piano après avoir enlevé les étouffoirs, les divers harmoniques dont la voyelle est la fusion provoquent la résonance des cordes correspondantes du piano, et l’on entend successivement se

  1. M. Colsenet, la Vie inconsciente, p. 87.