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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/197

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la Suédoise n’avait pas. Il est vrai qu’en revanche, sa taille élevée et flexible, ses cheveux blonds, ses yeux glauques de nixe effarée prêtaient alors au personnage une poésie que l’on peut regretter aujourd’hui. Contentons-nous des gammes chromatiques, des trilles vaillamment battus sur toutes les hauteurs de l’échelle vocale, et sans nous obstiner plus qu’il ne sied à chercher un idéal quelconque du caractère d’Ophélie, admirons chez la cantatrice qui nous arrive une voix capable de toutes les inflexions, de toutes les nuances dynamiques, montant jusqu’à l’ut dièse suraigu, poussant même jusqu’au mi naturel, juste, légère, dramatique au besoin, et possédant à la perfection cet art désormais presque introuvable de lier et d’égaliser les registres de tête et de poitrine.

Quelques jours plus tard, débutait dans Guillaume Tell M. Escalaïs, le vainqueur des jeux Olympiques du Conservatoire, très jeune, mais très rondelet, et d’une petitesse de taille invraisemblable. On avait, pour la circonstance, haussé le fils de Melchthal sur des talons qui ressemblent à des échasses ; malheureusement, cette horrible chaussure alourdit la démarche de l’artiste, et le cothurne, jadis à sa place dans Athènes, dissimulé comme il l’était par les larges plis ondoyans de l’himation, manque d’agrément attaché à de maigres jambes que recouvre un tricot. Arnold fait son entrée, il déclame son premier récitatif et, tout de suite, le mauvais effet est conjuré : c’est l’ancien Duprez qui nous revient ; on ne regarde plus, on écoute et on applaudit. Une voix splendide, de l’expression, une largeur de style étonnante chez un débutant de cet âge. Il n’a pas encore entamé de mélodie que déjà le succès est assuré. Les anciens habitués de l’Opéra vous diront qu’il en fut ainsi lors de la première apparition de Duprez : quatre vers d’un récitatif admirable, scandés d’un style magistral, avaient suffi pour convertir à l’enthousiasme tout un public que le départ de Nourrit rendait chagrin et réfractaire. Le duo entre Arnold et Guillaume a presque aussitôt mis en valeur le charme de cette voix, dont la puissance éclatait plus tard dans le grand trio et dans l’irrésistible : « Suivez-moi ! » Approuvons, en passant, la variante introduite par le jeune ténor, qui place nettement son ut de poitrine à la fin de l’andante et néglige de le reprendre dans la strette de l’allégro, où souvent il tournait au cri. — À côté du nouvel Arnold, M. Lassalle est un Guillaume Tell tout à fait remarquable ; je ne reproche au comédien qu’un excès de plastique trop directement adressée au public, et le chanteur serait sans défaut s’il éclairait un peu sa lanterne dans le duo du premier acte, qu’il dit d’une voix sourde et en dedans, alors que la situation exige, au contraire, qu’on parle ferme. Évidemment, si M. Lassalle voulait, au commencement du duo, renforcer les notes graves d’ut à mi bémol, les vitupérations légitimes que