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qui est un des plus brillans officiers de l’armée, et M. Moret, qui est un des plus éloquens orateurs du parlement. Ainsi, en quelques années, la politique de la restauration espagnole a fait du chemin. Il y a un peu plus de trois ans, le roi Alphonse n’hésitait pas à se séparer du plus éminent des conservateurs, de M. Canovas del Castillo, et il confiait le pouvoir à M. Sagasta, qui était un de ? chefs de l’opposition libérale. Aujourd’hui M. Sagasta n’est plus, à ce qu’il paraît, qu’un réactionnaire, et le ministère va à la gauche dynastique, à des hommes brillans, quoique peut-être un peu impatiens et aventureux, qui entrent aux affaires sous le pavillon du vieux M. Posada Herrera. Le jeune roi montre visiblement dans tous ces jeux de la politique autant de tact que de hardiesse. Quelles que soieni ses préférences, il agit en souverain impartial qui est le roi de tous, qui ne veut décourager personne. Il tient à bien montrer que le pouvoir est ouvert à tous les partis, que le régime constitutionnel dont il est le chef couronné n’exclut aucune opinion, aucune réforme libérale dans le cercle des institutions, et c’est là vraiment la plus heureuse, la plus efficace des habiletés.

Quelle sera maintenant la politique de ce nouveau ministère qui vient de se former à Madrid ? Les membres de la gauche dynastique entrent au pouvoir avec des ambitions passablement excessives et hasardeuses ; ils ont inscrit dans leur programme bien des choses un peu étonnantes, la revision de la constitution, le suffrage universel, le rétablissement du mariage civil, la réorganisation militaire, etc. La question n’est pas de mettre toutes ces réformes dans un programme d’opposition, la difficulté est de les réaliser quand on est au pouvoir. Elle est d’autant plus réelle, cette difficulté, que la revision de la constitution n’est pas réclamée par l’opinion, que bien des libéraux eux-mêmes, M. Sagasta en tête, ne paraissent nullement partisans du suffrage universel, et que les doctrines de liberté commerciale que quelques-uns des membres du cabinet portent au pouvoir n’ont rien de populaire en Espagne, surtout dans les régions les plus agitées comme la Catalogne. De sorte que voilà le nouveau cabinet de Madrid aux prises avec de singuliers embarras, obligé de faire face à tous les partis à la fois, aux libéraux récalcitrans aussi bien qu’aux conservateurs, et ayant, pour commencer, à compter avec un parlement dont la majorité ne lui est peut-être pas favorable. Le cabinet de M. Posada Herrera a-t-il en réserve le droit de dissoudre la chambre des députés ? Il est possible que le roi ne lui ait pas refusé d’abord cette faculté de faire des élections, qui est la grande ressource de tous les ministères espagnols. C’est dans tous les cas une partie toujours hasardeuse à jouer. La meilleure chance est que quelques-uns des nouveaux ministres, qui ne nianquent pas de talent, soient assez habiles pour contenir leurs amis