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PAULINE DE MONTMORIN
COMTESSE DE BEAUMONT

V.[1]
LA COMTESSE PAULINE DE BEAUMONT ET CHATEAUBRIAND.


I.

Chateaubriand avait trente-deux ans; un portrait de lui, — portrait antérieur à celui de Girodet, — le représente à cet âge tel que ses premiers amis l’ont connu : la tête et le front superbes, les épaules hautes, le corps disproportionné, le regard profond et, quand il le voulait, au dire du comte Molé, le sourire irrésistible. Il était encore l’étrange enfant élevé dans les bois de Bretagne, par un père implacable, par une sœur exaltée jusqu’à la souffrance. Tout avait contribué à développer dans le jeune homme une imagination précoce et sans limite: les savanes américaines, les luttes terribles de la révolution, le dénûment de l’exil, — tout, jusqu’à son étrange mariage, qu’il avait oublié depuis dix ans. Incapable d’équilibre, avec un don aussi démesuré, il avait obéi à la voix de Lucile, un jour qu’en automne, lui parlant avec ravissement de la solitude, au bruit des feuilles sèches qu’ils foulaient sous leurs pas, elle lui avait dit : « Tu devrais peindre tout cela. » Ce mot avait été pour lui une révélation ; il s’était senti naître à l’existence pour

  1. Voyez la Revue du 15 juin, du 15 juillet, du 15 août et du 15 septembre.