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« Depuis plusieurs années, ma santé dépérit d’une manière sensible : des symptômes que je croyais le signal du départ sont survenus, sans que je sois encore prête à partir. Les illusions redoublent avec les progrès de la maladie... Comme les autres, je me livrerais à l’espérance... à l’espérance ! Puis-je donc désirer de vivre? Ma vie passée a été une suite de malheurs; ma vie actuelle est pleine d’agitation et de troubles : le repos de l’âme m’a fuie pour jamais. »

« Ce 21 floréal, 10 mai, anniversaire de la mort de mon frère et de ma mère I


Je péris la dernière et la plus misérable !


Oh! pourquoi n’ai-je pas le courage de mourir? Cette maladie que j’avais presque la faiblesse de craindre s’est arrêtée, et peut-être suis-je condamnée à vivre longtemps. Il me semble cependant que je mourrais avec joie.


Mes jours ne valent pas qu’il m’en coûte un soupir !


Personne n’a plus que moi à se plaindre de la nature. En me refusant tout, elle m’adonne le sentiment de tout ce qui me manque... Je ressemble à un être déchu qui ne peut oublier ce qu’il a perdu et qui n’a pas la force de le regagner. Ce défaut absolu d’illusion et, par conséquent, d’entraînement fait mon malheur de mille manières. Je me juge comme un indifférent pourrait me juger et je vois mes amis tels qu’ils sont. Je n’ai de prix que par une extrême bonté qui n’a assez d’activité ni pour être appréciée, ni pour être véritablement utile, et dont l’impatience de mon caractère m’ôte tous les charmes. Elle me fait plus souffrir des maux d’autrui qu’elle ne me donne les moyens de les réparer. Cependant je lui dois le peu de jouissance véritable que j’ai eue dans ma vie. Je lui dois surtout de ne pas connaître l’envie, apanage si ordinaire de la médiocrité sentie. »

Quelle agitation! quels cris désespérés! Et dans ce désabusement, quel regret profond de l’insuffisance de la vie ! Sa correspondance nous met au courant des moindres péripéties de ce long et pénible voyage. Bien qu’elle fût à demi morte, n’ayant plus ni force ni volonté, son esprit d’observation ne l’abandonne pas tout le long de cette interminable route. Dès Fontainebleau, elle était tellement harassée qu’elle ne croyait pas pouvoir continuer. Les quintes de